2022/104 Un bon Indien est un Indien mort, Stephen Graham Jones / trad. de l’anglais. Rivages, 09/2022 (Noir). 346 p. 23 € ****

Ricky, Lewis, Gabriel, Cassidy. Quatre amis d'enfance, originaires de la tribu Blackfeet, ont massacré un troupeau de caribous lors d'une partie de chasse, sur le territoire des anciens où il leur était interdit de chasser. Parmi les animaux, une femelle enceinte qui a cherché à protéger son petit avant de finir par rendre l'âme. Dix ans plus tard, Lewis n’est toujours pas remis de cet acte qui l’a profondément marqué. Alors que Ricky est mort lors d’une rixe à la sortie d’un bar, il est persuadé que la femelle caribou est revenue pour se venger, et a pris l’apparence de sa collègue, puis de sa compagne. Il commet alors l’irréparable. Pendant ce temps, Gabes et Cassidy s’apprêtent à pratiquer un rituel de sudation avec le jeune fils d’un flic du coin. Rien ne va se passer comme prévu.

La femelle caribou victime de la sauvagerie des hommes revient assouvir sa soif de vengeance. Son apparition se fait progressivement, à travers les yeux de Lewis, qui semble victime d’hallucinations. En réparant une lampe défectueuse il aperçoit, à travers les pales du ventilateur, la silhouette de l’animal dessinée sur le sol. Ce n’est que le premier signe d’une présence qui devient évidente mais qu’il est le seul à voir. Cette première partie du récit semble montrer que Lewis est fou, et que seuls le remords et la culpabilité sont les véritables raisons du retour de ce fantôme dont il a gardé la peau dans son congélateur. Malgré quelques longueurs, le récit pose petit-à-petit les jalons d’une histoire qui glisse inexorablement vers le fantastique, et qui prendra toute sa mesure dans la partie suivante, avec une cérémonie traditionnelle qui va virer au cauchemar. A noter le très bon épisode du match de basket, et la course poursuite dans la neige qui le suit. Sur fond de légende indienne, avec un humour très noir et une dimension parfois très gore, ce roman traite de la situation des descendants des Blackfeet et des Crows, de la perte des traditions, de la question de l’identité indienne, et fait la part belle à la nature et aux caribous.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / caribou / chasse / vengeance / légende / Indiens /


Posté le 20/11/2022 à 11:46

La ville des vivants, Nicola Lagioia / trad. de l’italien. Flammarion, 008/2022. 506 p. 23 € *****

En 2016, un jeune homme de 23 ans, Luca Varani, est atrocement torturé puis assassiné par deux fils de bonne famille, qui déclareront avoir agi sans réel mobile.  Manuel Foffo est condamné à une peine de prison de 30 ans, Marco Prato finit par se suicider avant son procès. L'auteur reconstitue les jours et les faits qui ont précédé le meurtre, rencontre les proches et tous ceux qui ont fréquenté de près ou de loin la victime et les deux tortionnaires, et s'attache à trouver le point de rupture à l'origine de ce fait divers horrible. A travers sa quête, Nicola Lagioia dévoile une Rome bien loin des clichés de musée à ciel ouvert, une Rome à la fois splendide et malfaisante, aux venelles jonchées d’ordures et envahies par les rats.

En retraçant la relation qui a uni Foffo et Prato, l’auteur révèle le monde de la nuit romaine où, à l’instar de nombreuses grandes villes, se croisent des êtres en mal de sensations fortes, qu’elles soient sexuelles ou toxicomanes. Prato, qui travaillait dans l’événementiel, connaît bien cet univers dont il ouvre les portes à Foffo, moyennant une forte consommation d’alcool et de rails de coke. Les deux hommes en avaient-ils pour autant perdu toute notion du bien et du mal, et auraient-ils pu être considérés comme irresponsables du meurtre commis dans un état altéré de conscience ? Ce n’est finalement pas le cas, puisqu’à travers une reconstitution remarquablement documentée, qui se lit comme un terrible roman noir, l’auteur s’interroge – sans juger – sur la complexité de l'âme humaine et de ce qui peut transformer un homme en bourreau. A commencer par lui, qui ne cache pas, au détour d’une chapitre plus personnel, avoir possédé lui aussi sa part d’ombre. Et puis, il y a Rome, fascinante et sale, drapée dans sa splendeur tandis que la corruption règne, une Rome qu’il tente de fuir avec sa femme pour emménager à Turin aux rues propres et ordonnées, avant de se décider à revenir – comme si, malgré ou à cause de son stupre, de ses crimes et de sa déchéance, la ville éternelle continuait d’exercer sur lui son charme sulfureux.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Rome / ville / meurtre / drogue / homosexualité / violence /


Posté le 07/11/2022 à 16:43

2022/100 L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel. Gallmeister, 08/2022. 473 p. 25,60 € ****

Breathed, Ohio, 1984. Autopsy Bliss, procureur, dont l'expérience met à mal sa foi dans la justice, invite par voie de presse le diable à venir le voir. Le lendemain, un jeune garçon noir de 13 ans, sale et dépenaillé, aux étonnants yeux verts, se tient devant le tribunal. Qui est cet adolescent ? La famille Bliss l'accueille, le temps qu’on retrouve sa famille, et le prénomme Sal. Sal et Fielding, qui ont le même âge, deviennent amis. Alors que la canicule s’abat sur la petite ville, une série d’événements se succèdent et sèment la discorde parmi les habitants, dont nombreux sont ceux qui tiennent Sal pour responsable.

         Ce roman est certes un peu long mais il dépeint, à travers des personnages parfaitement caractérisés – la mère de Fielding cloîtrée chez elle par crainte de la pluie, le couvreur devenu évangéliste, Grant, le frère aîné du narrateur – la réalité d’une société ultra conservatrice dans un milieu rural. En 1984, il ne fait pas bon être différent, et de sortir des chemins tracés. A travers l’histoire de ce jeune garçon dont la couleur de peau et l’étrangeté vont lui faire endosser le rôle de bouc émissaire, sont dénoncés les préjugés de l’époque : le racisme bien sûr, mais aussi l’homophobie, l’intolérance ou le fanatisme religieux. C’est Fielding, devenu octogénaire, qui raconte l’histoire, et dans son ton se devine le drame à venir, se sentent une lourde culpabilité et la profonde douleur d’avoir, cet été-là, perdu toute son innocence.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis /années 80 / sida / homophobie / racisme / fanatisme /


Posté le 06/11/2022 à 11:33

2022/67 Les hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy / trad. de l’anglais. Belfond, 05/2022. 256 p. 22 € ***

         Brendan, ancien ingénieur au chômage, est devenu chauffeur Uber. Un soir, il prend Elise, une ancienne enseignante d’université qui œuvre comme « doula » auprès de femmes souhaitant avorter. Alors qu’il la dépose devant l’une des cliniques pratiquant l’IVG, un attentat secoue le bâtiment. L’accident fait une victime, l’un des vigiles, et est relayé par la presse. Les pro vie dénoncés par Elise sont une préoccupation pour Brendan dont l’épouse a rejoint une paroisse opposée à tout avortement. Son couple bat de l’aile, alors qu’Elise fait appel aux services du chauffeur pour continuer d’aider les femmes en détresse.

         A travers l’histoire de ces deux personnages issus de milieux forts différents, Douglas Kennedy fait le portrait d’une Amérique en proie à des débats fondamentaux, à l’heure où de plus en plus d’états interdisent l’avortement ; il dénonce l’ubérisation et la cruauté d’une entreprise où les employés sont évalués en permanence et risquent, à la moindre erreur, de perdre un travail qui ne leur permet de toute façon pas de boucler leurs fins de mois. Un roman qui commence par une fresque sociale intéressante pour se transformer en une cavale qui manque un peu de crédibilité.

 

Catégorie : Littérature étrangère

IVG / Etats-Unis / Uber / emploi /


Posté le 19/10/2022 à 16:48

2022/32 Le lac de nulle part, Pete Fromm / trad. de l'anglais. Gallmeister, 01/2022. 445 p. 24,60 € ****

Trig et Al, jumeaux de 26 ans, son contactés par leur père qu'ils n'ont pas revu depuis plusieurs années. Il leur propose de partir faire un périple en canoë sur les grands lacs canadiens, avec bivouac et feu de camp, comme au temps de leur adolescence. Les jumeaux acceptent, bien qu'ils soient un peu réticents à partir à l'automne, et retrouvent leur père à l'aéroport. Très vite, il semble que le mathématicien ait peu préparé cette aventure, et sans sa rigueur habituelle. Il manque de l'équipement, et il a oublié de prendre des cartes. Le départ se fait tout de même, de lac en lac, suivant un itinéraire dont les jumeaux ignorent tout…

De l'eau, des portages pour passer de l'un à l'autre, des repas lyophilisés, des carpes cuites au feu de bois, une goutte de whisky, et deux tentes pour trois. Trig et Al s'en accommodent, habitués qu'ils sont des conditions un peu rudes de ce genre d'aventures, et finissent par retrouver la complicité de leur enfance dans la tente qu'ils partagent. Un moment de retrouvailles familiales ? C'est sans compter avec la confusion grandissante du père. L'équipée devient terrifiante, alors que le froid arrive, que l'eau gèle et compromet les déplacements en canoë. Il s'agit désormais de survivre avant tout, au sein d'une nature qui, de magnifique, est devenue hostile et mortelle. Avec, à la clé, d'affreuses révélations et le lien entre les jumeaux qui se reconstruit, au fil des épreuves. Certes, Pete Fromm n'évite pas complètement le piège du pathos avec les confidences d'Al, mais on est loin de Mon désir le plus ardent ou de La vie en chantier. Dans ce périple qui se lit comme un roman noir, l'auteur nous interroge sur la gémellité, la maladie, les non-dits familiaux et la responsabilité de chacun. Avec, en toile de fond, l'obstination d'une mère et la souveraine indifférence de la nature.

 

Catégorie :  Littérature étrangère

Canada / lacs / froid / famille / jumeaux / secret /


Posté le 09/05/2022 à 17:51

2022/28 Lorsque le dernier arbre, Michael Christie / trad. de l'anglais. Albin Michel, 08/2021 (Terres d'Amérique). 587 p. 22,90 € *****

2038. Une catastrophe écologique a décimé tous les arbres et transformé la planète en désert où souffle une poussière porteuse d'une maladie mortelle appelée la "craqueuse". Le Canada échappe en partie à ce dépérissement, notamment au sein d'une île, devenue un véritable sanctuaire où vivent des spécimens âgés de plusieurs centaines d'années. Des touristes fortunés, appelés les Pélerins, y sont accueillis pour des visites strictement encadrées de cette forêt primaire. La dendrologue Jacinda Greenwood, surnommé Jake, est l'une des guides de la Cathédrale. Endettée jusqu'au cou, elle apprend qu'elle serait la descendante d'un richissime homme d'affaires sulfureux, propriétaire de l'île... La suite du roman remonte le temps et les différentes générations des ancêtres de Jake, jusqu'au début du 20ème siècle, pour découvrir la filiation et la chaîne de coïncidences qui l'ont conduite jusqu'ici...

La dendrochronologie permet d'évaluer l'âge d'un arbre, à partir de sa souche s'il a été abattu, ou par carottage. On peut alors compter les cernes de croissance de sa souche. Mais on peut aussi découvrir son histoire : les cernes de l'aubier puis du duramen gardent l'empreinte des conditions dans lesquelles il a vécu, les années fastes, suffisamment pluvieuses ou sans voisin gênant, abattu ou tombé lors d'une tempête (cernes larges) et les périodes maigres, sécheresse, attaque d'insectes ou gelée tardive (cernes étroits).

Ainsi remonte-t-on les anneaux de l'arbre généalogique de Jake, jusqu'à la moelle du tronc, l'accident de train de 1908 qui a conduit à la rencontre improbable de deux garçons qu'on a tenus pour des frères. "Même les arbres les plus majestueux ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre." Et puis, on repart dans l'autre sens pour repasser par les mêmes cernes, 1934, 1974, 2008, jusqu'à l'aubier de 2038, avec désormais à l'esprit les multiples événements vécus et les choix faits par la lignée des Greewood. Le récit surfe avec intelligence sur la métaphore forestière, et trouve son point d'orgue lorsque Jake est contrainte, la mort dans l'âme, d'abattre le "doigt d'honneur de Dieu", le spécimen le plus ancien de l'île, victime d'un champignon qui ronge son bois. Jake remonte une partie des mille deux cents cernes de la souche du géant abattu : "[…] tout ce que l'arbre a vécu, préservé et consigné dans son propre corps. Chaque arbre est tenu par son histoire, par l'ossature de ses ancêtres. Et depuis que le journal est parvenu jusqu'à elle, Jake comprend que sa propre vie est étayée par des couches invisibles, structurée par les vies qui l'ont précédée. Et par une série de crimes et de miracles, d'accidents, de décisions, de sacrifices et d'erreurs auxquels elle doit d'habiter ce corps et cette époque-ci." Amour, jalousie, trahison, pauvreté extrême, engagement écologique… les choix de chaque membre de la lignée ont des conséquences qui conditionnent la vie de leurs descendants et, plus ou moins directement, l'environnement. Réchauffement climatique, déforestation, liens familiaux, transmission, Michael Christie aborde avec talent, à travers 130 années d'épopée familiale, de nombreuses thématiques qui abolissent le passé et le futur dans un continuum tout forestier : un arbre est coupé, un arbrisseau a déjà jailli de la souche – et la vie continue, avec un peu de chance.

 

Catégorie : Littérature française

arbre / forêt / déforestation / environnement / famille / générations /


Posté le 29/03/2022 à 12:57

2022/13 Une falaise au bout du monde, Carl Nixon / trad. de l'anglais. L'Aube noire, 02/2021. 329 p. 20 € *****

En 1978, la famille Chamberlain, venue d'Angleterre pour s'installer en Nouvelle-Zélande, est victime d'un accident de la route, quelque part sur la côte ouest. Les parents meurent, ainsi que le bébé. Ne restent que les trois enfants, Maurice l'aîné, Katherine, 12 ans, et leur petit frère Tommy. Ils disparaissent sans laisser de trace. Pendant cinq ans, Suzanne, la tante des enfants, tente vainement de retrouver la famille. Trente ans plus tard, elle apprend que les ossements de Maurice ont été retrouvés. Le garçon aurait vécu plusieurs années après la disparition des Chamberlain. Comment l'adolescent a-t-il pu survivre en pleine nature, complètement isolé ? Qu'est-il arrivé à ses frères et sœurs ? Suzanne décide de repartir pour la Nouvelle-Zélande, une dernière fois…

Le récit alterne entre la vie et les sentiments de Suzanne, en 2011, et les quelques années qui ont suivi l'accident. On découvre petit-à-petit comment la fratrie a pu survivre, et les réactions de chacun des trois enfants face à un environnement qui n'a strictement rien à voir avec ce qu'ils connaissaient. Chacun s'acclimate et s'en sort comme il peut, dans des conditions rudes, parfois très limites, où la nature et la sauvagerie sont omniprésentes. Il y a le bush, la rivière, les anguilles et les insectes, et cette route que Maurice espère trouver ; il y a ces liens familiaux qui les tiennent et les empêchent de sombrer tout à fait. On trouvera peut-être que les enfants se consolent rapidement de la mort de leurs parents, mais leur environnement est trop hostile pour laisser beaucoup de temps au deuil. Le récit est bien construit, avec une mécanique qui mène inexorablement vers un dénouement que le lecteur connaît dès le début, ou presque, et il a l'intelligence de ne jamais sombrer dans le manichéisme. Parce qu'avant tout, il faut survivre – à quelques kilomètres de la civilisation.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Nouvelle-Zélande / bush / famille / nature / survie /


Posté le 10/02/2022 à 11:45

2022/10 Les filles d'Egalie, Gerd Brantenberg / trad. du norvégien. Zulma, 02/2020. 370 p. 22 € ****

Le pays d'Egalie est dirigé par une femme, la directrice Brame, tandis que son mari veille avec amour sur leur foyer et leur fils Pétronius. A 15 ans, celui-ci s'apprête à faire ses premiers pas dans le monde, le soir du bal des débutants. Mais le jeune homme, long et maigre, dont l'apparence est à l'opposé des canons esthétiques en vigueur, refuse de rester cantonné à sa condition d'homme-objet et rêve de devenir marine-pêcheuse. Mais comment pourra-t-il échapper aux conventions et aux règles draconiennes qui régissent cette société matriarcale ?

Bienvenue en Egalie ! Ou plutôt en Inégalie. En effet cette société prétendument égalitaire est tout le contraire : aux femmes le pouvoir, les postes-clés, les décisions, le droit de se promener torse nu, les bars réservés, l'amour à la hussarde, le choix d'opter pour un partenaire à qui elles proposeront un "pacte protège-paternité". Aux hommes l'idéal domestique, l'éducation des enfants et les activités frivoles, la mise en plis de la barbe, les rondeurs si délicieuses et l'obligation, à l'adolescence, de porter un soutien-verge que l'on va exhiber sous la robe chasuble. Renversement des rôles donc, qui n'est pas sans rappeler les années où, en France, une femme ne pouvait ni travailler ni ouvrir un compte en banque sans l'aval de son mari.

En Egalie, la domination féminine est si puissante que la langue elle-même s'est féminisée : "elles" l'emporte au pluriel pour désigner des femmes et des hommes, "elle" est évident que la fumanité doit sa survie à la femme car "ce sont les hommes qui procréent" – à eux d'ailleurs de prendre la pilule. J'ignore si le norvégien comporte de tels marques genrées que le français, mais la traduction est une réussite, qui montre parfaitement à quel point la domination d'un sexe dit "fort" sur l'autre appelé "faible" ou "beau" est devenue parfaitement acceptée et inconsciente. Au-delà de l'histoire de Pétronius et de ses copains, qui entament leur révolution masculiniste, ce récit, écrit en 1962, montre bien les préjugés à l'œuvre dans l'inconscient collectif et illustre, de façon parfois amusante, parfois grinçante, le long chemin que les femmes ont dû suivre pour faire craquer les coutures de leurs corsets – et qui n'est pas encore achevé.

 

Catégorie : Littérature étrangère

femme / parité / inégalité / domination / révolte /


Posté le 10/02/2022 à 11:42

2022/6 La danse de l'eau, Ta-Nehisi Coates / trad. de l'anglais. Fayard, 09/2021. 478 p. 23 € ****

Virginie, Etats-Unis, 1861. A la veille de la guerre de Sécession, dans une plantation de tabac en déclin, Hiram, 9 ans, est le fils d'une esclave et du maître de la propriété. Quand sa mère est vendue, il est recueilli par une veuve, puis il devient le serviteur attitré de son demi-frère blanc, Maynard. Traumatisé par la séparation, il perd tous ses souvenirs d'enfance, et n'a pour seul horizon qu'une vie d'esclave. Un jour où la calèche qu'il conduit tombe dans la rivière, il échappe à la noyade, contrairement à son frère, grâce à un étrange pouvoir surnaturel. Devenu adulte, il est libéré grâce à un réseau clandestin qui espère tirer profit de ce don de "conduction'" afin de faciliter la libération des "asservis" en les emmenant dans les états du nord…

Dans ce récit qui raconte la longue lutte contre l'esclavage et le travail des réseaux clandestins d'exfiltration des esclaves vers les états du nord qui avaient déjà, pour certains, voté l'abolition, se tisse en filigrane une dimension fantastique. Nourri des légendes racontées par les anciens, et de la tradition de la danse de l'eau, le mystérieux pouvoir d'Hiram est une sorte de capacité à se téléporter dès lors qu'on est à proximité d'un élément liquide. Mais ce n'est pas une sinécure : ce don va prendre beaucoup de temps à se développer, jusqu'à ce qu'Hiram comprenne que son déclenchement est lié à sa capacité de faire remonter des souvenirs. Non d'ailleurs qu'il soit complètement amnésique : il possède une mémoire fabuleuse, retient tout sans effort, sauf le souvenir de sa mère, qu'il a inconsciemment enfoui pour se protéger. Faire remonter ce souvenir, c'est mettre des mots sur un traumatisme, le reconnaître, l'apprivoiser aussi. Un double enjeu pour lui, puisque plus fort sera le souvenir, plus puissant sera sa magie. Ce roman dense, qui souffre sans doute de quelques longueurs, aborde sous un angle original, poétique et symbolique, la lutte contre l'esclavage et la longue rédemption d'un homme.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / esclavage / 19ème siècle / magie /


Posté le 10/02/2022 à 11:23

Les huit montagnes, Paolo Cognetti / trad. de l'italien. Stock, 12/2018. 299 p. ****

Pietro habite à Milan dans un appartement bruyant. Ses parents louent un petit chalet à Grana, au cœur du Val d'Aoste où ils passent tout l'été. Pietro y fait la connaissance de Bruno, un garçon de son âge qui va l'initier aux secrets de la montagne. Les deux garçons parcourent les alpages, les forêts et les glaciers ; leur amitié se nourrit de la nature sauvage qui les entoure et de leur point commun : une relation compliquée avec leur père. Puis ils grandissent, Pietro mène une vie de nomade et voyage beaucoup tandis que Bruno reste dans ses chères montagnes. Vingt ans après, les deux amis se retrouvent...

L'amitié pour autant n'est pas rompue. Bien sûr, les deux hommes ont perdu l'innocence de l'enfance, et mis de côté les rêves de l'adolescence. Leur destin a divergé : Pietro vit dans le mouvement, sans réelle stabilité, tandis que Bruno est immobile, incarnant ce qui ne change pas. Mais il reste quelque chose de solide de ces étés à jouer dans la rivière, à explorer des cabanes abandonnées, à arpenter les sentiers de randonnée, une forme de loyauté qui perdure, malgré les désaccords et l'éventuelle rivalité amoureuse. Les deux hommes sont attachés à la montagne, qu'il s'agisse de celle, natale, de Bruno, ou de l'Himalaya où Pietro a passé bien des années ; c'est un refuge, et un mode de vie. Quitte à ce qu'il mène à la solitude, que Paolo Cognetti décrit avec une grande justesse par la bouche de Pietro : "Ce que je tenais à protéger, c'était ma capacité à rester seul. Il m'avait fallu du temps pour m'habituer à la solitude, en faire un lieu où je pouvais me laisser aller et me sentir bien, mais je sentais que notre rapport était toujours aussi compliqué. Je rentrais à la maison comme pour regagner cette assurance." (p.229). Comme dans La félicité du loup, l'auteur rend hommage à la haute montagne, la mettant en scène comme un personnage à part entière, au-delà des tourments de l'âme humaine.

 

Catégorie : Littérature étrangère

haute montagne / Alpes / Italie / amitié / mort /


Posté le 13/01/2022 à 15:26

Là où brillent les étoiles, Nadia Hashimi / trad. de l'anglais. Hauteville, 10/2021. 540 p. 18,90 € ***

Kaboul, avril 1978. Un coup d'état a pour conséquence l'invasion des Russes dans le pays. Cette nuit-là, toute la famille de Sitara, dont le père était le bras droit du président, est assassinée. Seule la petite fille échappe au massacre, grâce à l'aide d'un militaire qui la fait sortir secrètement du palais pour la cacher chez lui puis la confie à deux Américaines. Celles-ci parviennent à lui faire quitter l'Afghanistan pour les Etats-Unis, sous le nom de sa jeune sœur décédée, Aryana. Trente ans plus tard, devenue chirurgienne en oncologie, Aryana voit son passé ressurgir brusquement...

Evidemment, l'histoire de Sitara-Aryana est terrible. Après avoir vu toute sa famille mourir sous ses yeux, elle va devoir se faire à une autre culture. Elle est heureusement aidée par l'amour profond que va lui porter sa mère adoptive. Nul ne connait son passé, pas même Adam, son compagnon qui se lance en politique. Le trauma est bien caché mais réel, et la haine pour les responsables du massacre toujours présente, malgré les années et l'empathie indispensable à la pratique de son métier – nul besoin d'être grand clerc pour comprendre pourquoi elle a choisi de se spécialiser dans la chirurgie oncologique. L'arrivée dans sa deuxième vie d'un témoin du passé la met face à elle-même, et la contraint à faire des choix : ce bouleversement du personnage et ses conséquences sur sa psyché sont les éléments les plus aboutis d'un récit qui a le mérite de nous faire découvrir une partie de l'histoire de l'Afghanistan, mais qui souffre de certaines longueurs et n'évite pas toujours le pathos.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Afghanistan / Etats-Unis / politique / famille / deuil / résilience /


Posté le 17/12/2021 à 09:57

Sidérations, Richard Powers / trad. de l'anglais. Actes Sud, 09/2021. 398 p. 23 € ****

Théo, chercheur et enseignant en astrophysique à l'université du Wisconsin, est le père de Robin, un enfant très intelligent de neuf ans atteint de troubles psychiques : dépression, autisme, hyperactivité. Il a du mal à avoir une vie scolaire et familiale normale, d'autant plus que sa mère est décédée dans un accident de voiture. Théo, qui refuse de voir administrer des psychotropes à son fils, se tourne vers une méthode expérimentale, le "neurofeeback". L'expérience semble prometteuse : Robin peut à la fois satisfaire son inépuisable curiosité intellectuelle et avoir des relations sereines avec son père et son entourage.

Dans cette Amérique menacée par le changement climatique et l'instabilité politique, alors que tout semble aller à vau-l'eau, reste la lumière de cette si belle relation entre un père veuf, inconsolable, et son fils, auquel il voue son temps et son affection. Alors il raconte les planètes, des mondes imaginaires peuplées de créatures imaginaires, de climats et de reliefs incroyables, aux cieux mouvants et aux satellites multiples ; il l'accompagne et le conseille, à la fois fasciné et désarçonné par les capacités extraordinaires de son fils et sa très grande fragilité. A travers l'histoire de ce duo si touchant, Richard Powers traite avec sensibilité de sujets contemporains comme les crises sanitaires et la responsabilité humaine dans le bouleversement climatique ou dans l'extinction de nombreuses espèces animales, et aussi la place de l'homme dans un univers que l'on connaît encore si peu.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / autisme / famille / mort / deuil / climat / espace /


Posté le 25/11/2021 à 17:33

Klara et le soleil, Ishiguro Kazuo / trad. de l'anglais. Gallimard, 06/2021. 384 p. 22 € ****

Klara est une AA, une "Amie Artificielle", un robot de très haute technologie créé pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Dans la vitrine du magasin où elle est exposée, elle observe la rue et se nourrit des rayons du soleil, en attendant qu'on la choisisse. Arrive Josie, une adolescente souffrant d'une maladie étrange qui la fatigue énormément. Josie parvient à convaincre sa mère d'acheter Klara. Curieuse, intelligente et très empathique, celle-ci s'adapte à la situation et compose avec la mère de Josie et la gouvernante, ainsi qu'avec Rick, son petit ami. Mais elle va découvrir qu'elle est chargée d'une mission particulière…

De quoi souffre Josie ? On n'en saura pas davantage que Klara, par les yeux de laquelle le récit est raconté. Avec toutes les imperfections de son statut de robot de classe B2, qui voit parfois le monde se pixelliser, divisé en carrés qu'elle met du temps à reconstituer ; un robot qui a besoin des nutriments du soleil pour agir, et pense pour guérir Josie grâce à la puissance solaire. Mais elle apprend petit à petit à décoder le monde qui l'entoure, à déchiffrer le langage corporel et toutes les émotions qui animent l'être humain. Plus encore, elle fait sienne ces émotions, et parvient à nouer de véritables relations, avec Josie, puis avec sa mère, et enfin avec son père qu'elle convainc du bien-fondé de son projet. Cette machine se dote petit à petit d'une réelle humanité, et notamment d'une bienveillance à toute épreuve. Sans que jamais sa constance ne soit menacée, même lorsque qu'elle se voit délaissée par une Josie devenue grande et prête à partir pour l'université. Qu'importe de finir dans une décharge, si elle peut encore profiter des motifs du soleil. Ce roman un peu lent pose lavec délicatesse la question de la part de bon en nous, que nous avons oublié et qu'incarne ce robot qui, avec un renoncement serein, se contente de profiter des motifs du soleil ? Qui, de la machine ou de l'homme, est le plus humain ?

 

Catégorie : Littérature étrangère

intelligence artificielle / apprentissage / humanité / famille


Posté le 21/10/2021 à 17:36

Trois vœux, Liane Moriarty / trad. de l'anglais. Albin Michel, 02/2021. 393 p. 22,90 € ***

L'histoire de trois femmes, les soeurs Kettle, trois triplées, que chacun se souvient avoir croisées dans une rue de Sydney. Elles se retrouvent le soir de leurs 34 ans pour une fête d'anniversaire au cours de laquelle l'une d'elles plante une fourchette dans le ventre d'une de ses amies enceinte. Comment expliquer un tel geste ? On découvre les trois soeurs et leur personnalité : Lyn, chef d'entreprise; celle qui a tout réussi, carrière, mari, enfant, belle-fille, belle maison ; sa jumelle Cat, qui tente désespérément d'avoir un enfant et que son mari trompe ; enfin Gemma, la "fausse" jumelle, instable, aérienne, incapable de se fixer à un homme et qui devient "homesitter".

C'est une belle galerie de portraits, car autour des trois sœurs il y a les parents divorcés, qui s'aiment encore au point de décider de se remarier, les compagnons d'une vie ou d'un soir, les rivales… tout cela dans une Australie branchée et plutôt aisée, où l'on déjeune le jour de Noël en pestant contre la clim défaillante. On a l'impression de plonger dans une série qui raconterait les tribulations de ces triplées trentenaires, et qui gratterait un peu sous le vernis des apparences. C'est plutôt agréable, sans laisser un souvenir impérissable.

 

Catégorie : Littérature étrangère

sororité / famille / enfant /



Posté le 04/10/2021 à 18:12

La papeterie Tsubaki, Ito Ogawa / trad. du japonais. Philippe Picquier, 01/2021. 375 p. 20 € ****

A la mort de la grand-mère qui l'a élevée, Hatoko, surnommée Poppo, revient dans son village natal de Kamakura pour reprendre la papeterie qu'elle lui a léguée. La voilà à son tour non seulement vendeuse de produits de papeterie ou de calligraphie, mais aussi écrivain public, chargée de rédiger des cartes de vœux, des lettres de condoléances, d'amour ou de rupture. Elle tâche de se plier au mieux aux exigences de ses clients, aussi farfelues puissent-elles être parfois – comme un courrier de sympathie pour la mort d'un singe, ou une lettre de rupture d'une jeune femme avec sa maîtresse de thé -, mais toujours dans le stricte respect des règles complexes qui régissent la correspondance nippone. C'est l'occasion pour elle de forger ses armes de rédactrice et de calligraphe, d'exercer son talent et de faire de nombreuses rencontres. Et de se découvrir.

Ce joli roman nous plonge dans les traditions japonaises, la fête des cerisiers en fleurs, la cérémonie des lettres que chacun apporte à Hatoko pour qu'elle les brûle, les vœux de la nouvelle année, la gastronomie… Au fil des saisons, tandis que son art s'affine et que la papeterie connait le succès, la jeune femme s'étoffe, grandit, et se réconcilie avec son passé. Raffinement, douceur et fraîcheur caractérisent ce récit qui ravira aussi les amateurs de la calligraphie japonaise : ils apprécieront les reproductions de lettres rédigées en caractère hiragana ou katakana, ou en caractères chinois, ainsi que toutes les subtilités de l'art des relations épistolaires.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Japon / écrivain public / correspondance / famille /


Posté le 30/08/2021 à 19:22

Des milliers de lunes, Sebastian Barry / trad. de l'anglais. Joëlle Losfeld, 08/2021. 237 p. 21 € ****

Paris, Tennessee, deuxième moitié du 19ème siècle. Winona, jeune Indienne qui a assisté au massacre de toute sa famille, a été adoptée par John Cole et son compagnon Thomas McNulty. Elle grandit dans la ferme de Lige Magan où ils travaillent tous deux, avec deux esclaves affranchis, Rosalee et Tennyson Bouguereau. Winona est agressée et violée, mais le choc a effacé le souvenir de son agresseur. Un peu plus tard, Tennyson est lui aussi attaqué et grièvement blessé. On soupçonne un groupe de marginaux criminels que le colonel Purton, chargé de la justice, décide de disperser avec l'aide de la population.

         Dans ces contrées rurales, alors que les blessures de la guerre de Sécession restent vivaces, il ne fait pas bon être indien ou noir. Tennyson et Winona l'apprennent à leurs dépens. La jeune fille, qui grandit au sein d'un couple peu ordinaire pour l'époque – Thomas McNulty a participé dans sa jeunesse à des spectacles, habillé en femme, et le proche entourage des deux hommes ne semble pas blâmer les liens qui les unissent – est avide d'une liberté que son père adoptif semble lui concéder volontiers. L'histoire est habilement construite, l'auteur sait tirer avec intelligence et finesse les conséquences progressives de chaque événement, tandis que se dessinent de nombreuses questions liées à l'humain : la question de l'identité et du devenir des populations indiennes, la ségrégation, mais aussi, de manière latente, l'homosexualité et la misogynie.

         Merci aux éditions Joëlle Losfeld pour cette découverte. 

Posté le 19/08/2021 à 09:32

Petite, Edward Carey / trad. de l'anglais. Le Cherche Midi, 03/2021. 566 p. 23 € ****

Berne, deuxième moitié du 18ème siècle. Marie Grosholz et sa mère entrent au service d'un certain Dr Curtius, qui fabrique des moulages en cire d'organes humains. Sa mère se suicide mais Marie reste, apprenant auprès de son mentor les bases de son travail. Promue assistante, elle le suit jusqu'à Paris où il prend pension chez une veuve et relance son activité. Il devient vite célèbre en réalisant les statues grandeur nature d'assassins et de personnalités de l'époque. Pendant ce temps, Marie, qui subit les brimades de la veuve, est appelée à Versailles auprès de la princesse Elisabeth, à qui elle donne des leçons d'anatomie. Mais nous sommes en pleine période révolutionnaire : Marie est congédiée, revient chez son maître, et voilà qu'on lui demande de réaliser les têtes fictives de ceux qui ont perdu la leur sous le couperet de la guillotine…

De façon romancée, Edward Carey nous raconte l'histoire de celle qui deviendra, des années plus tard, la célèbre Mme Tussaud. Une biographie soignée, aux multiples influences : on y trouvera une tonalité un peu voltairienne dans les intitulés des chapitres ou l'absurdité de certaines situations, la noirceur des romans naturalistes, un côté Poe ou Gautier pour l'ambiance crépusculaire et la bizarrerie de certains personnages. Malgré certaines longueurs, c'est plutôt bien fait et fort plaisant.

 

Catégorie : Littérature étrangère

cire / mannequin / anatomie / Révolution française / apprentissage / pauvreté /


Posté le 03/08/2021 à 18:26

Le fleuve des rois, Taylor Brown / trad. de l'anglais. Albin Michel, 05/2021. 446 p. 22,90 € ****

         Deux frères décident de descendre l'Altamaha River pour aller disperser les cendres de leur père, décédé un an plus tôt, dans l'embouchure du fleuve. L'aîné, Lawton, militaire de carrière, ne croit pas à la thèse de l'accident et veut trouver une autre explication à sa mort que le fait qu'il ait été embroché par un esturgeon. Hunter est plus circonspect, d'autant plus que ses études d'histoires ne l'ont pas préparé à ce périple dans un environnement parfois hostile et sur un fleuve qu'habitent alligators,  poissons géants et de nombreuses légendes. Dont celle d'une créature mythique, énorme, que cherche à apercevoir Jacques Le Moyne, dessinateur et cartographe du Roi qui a fait partie de l'expédition française partie à la découverte du Nouveau Monde en 1564.

         L'expédition est un fiasco, les hommes nouent des relations conflictuelles avec les Améridiens qui ne partagent pas leur goût du territoire, se battent contre les Espagnols et endurent la famine. Le Moyne dessine, effaré par la violence dont les hommes ont le secret. Le roman oscille entre le périple des deux frères et les mésaventures de Le Moyne, et laisse place, en contrepoint, à la jeunesse d'Hiram, le père alcoolique et violent de Lawton et Hunter, mouillé jusqu'au cou dans des trafics que ses fils découvrent au fil de leur progression. Pendant ce temps, le fleuve continue de couler, imperturbable et indifférent au destin de ceux qui le parcourent ; à travers ses méandres il est question du bien et du mal, de colonisation, de pollution, de fraternité, dans un récit somptueux où le sordide côtoie le mythe.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / fleuve / frère / Amérique /


Posté le 03/08/2021 à 18:24

Le jeu de la dame, Walter Tevis / trad. de l'anglais. Gallmeister, 03/2021. 433 p. 11,40 € *****

         Etats-Unis, 1957. A la mort de sa mère, Beth Hamon est placée dans un orphelinat. Elle découvre les échecs grâce au factotum de l'institut, qui l'initie et se rend compte qu'elle est extrêmement douée malgré son très jeune âge. Elle participe à des concours qui confirment son talent, mais rendue dépendante aux calmants qu'on distribue à tous les pensionnaires, on lui interdit de jouer. Elle est ensuite adoptée par un couple américain et parvient à s'inscrire à d'autres championnats qu'elle gagne. A 16 ans, elle devient l'étoile montante des échecs aux Etats-Unis et commence, chaperonnée par sa mère adoptive, à participer à des tournois internationaux…

         Le talent seul ne suffit pas. Beth a découvert le plaisir des stratégies, mais surtout celui de gagner – les compétitions, et de l'argent. Le plaisir de gravir les échelons du classement international et de rencontrer les plus grands maîtres. Mais pour y parvenir, il faut travailler. Rejouer les mêmes parties, apprendre par cœur de longues combinaisons, s'entraîner sans relâche, des heures durant. Certes, Beth est appliquée et douée, mais son génie inclut aussi une part obscure : elle souffre d'une dépendance aux calmants et d'alcoolisme ; elle est aussi terriblement seule. C'est cette contradiction qui caractérise ce personnage, capable du meilleur comme du pire, de battre les plus grands champions dans une activité réservée aux hommes où règne une compétition permanente, comme de se livrer à tous les excès. Une sorte de génie maudit doté d'une volonté de fer et d'une grande fragilité. Ce roman, qui ne craint pas de détailler les parties d'échecs d'une façon qui pourra sembler absconse pour les non-initiés, est avant tout un beau portrait de femme. A noter que l'adaptation en série diffusée sur Netflix est très fidèle au roman.

 

Catégorie : Littérature étrangère

échecs / compétition / rivalité / drogue / femme /


Posté le 16/07/2021 à 18:07

Sans toucher terre, Antti Rönkä (trad. du finnois). Rivages, 12/2020. 234 p. 20 € *****

Aaro a vécu toute sa scolarité en souffrant de harcèlement. Jeune homme solitaire, il attend beaucoup de son départ pour l'université et la possibilité de changer. Mais il n'est pas facile de se débarrasser de ses habitudes de protection et d'évacuer la peur d'aller vers les autres. Aaro peine à nouer des contacts avec ses camarades de fac et à participer à des soirées. Il continue de se gaver d'anxiolytiques pour tenir et parvenir à entretenir un minimum de liens sociaux. Et voilà qu'enfin, il rencontre une jeune fille…

Aaro vient d'une famille qui a érigé le sport et la compétition en véritable religion. Son père avait fait de lui un champion de course, il subissait les entraînements sans jamais parvenir à dire qu'il détestait cela. De même était-il incapable de dire ce qu'il subissait à l'école. C'était un jeu se disait-il à l'époque, prêt à tout subir pour être considéré comme les autres. Alors il se regarde sans bienveillance, s'autocritique, se fait mal. Il a honte de sa faiblesse, qu'il cache pour faire bonne figure, comme il l'a toujours fait. Honte de lui, de ce qu'il est. Mais loin de ses persécuteurs, loin de sa famille indifférente, Aaro peut commencer tout doucement à se reconstruire. C'est un récit touchant que nous propose là un tout jeune auteur, qui donne à voir de l'intérieur le ressenti et la profonde détresse d'une victime de harcèlement, incapable de dénoncer ses bourreaux et de demander de l'aide.

 

Catégorie : Littérature étrangère

harcèlement / études / angoisse / relations sociales /


Posté le 18/06/2021 à 09:23

Justice indienne, David Heska Wanbli Weiden / trad. de l'anglais. Gallmeister, 01/2021. 407 p. *****

Dans la réserve indienne de Rosebud, dans le Dakota du Sud, où vivent les Indiens Iakotas, l'état n'intervient pas dans les enquêtes de la plupart des crimes, et la police locale a peu de moyens. Les pires abus restent souvent impunis. Virgil Wounded Horse, qui élève seul son neveu Nathan, est devenu justicier et venge les victimes selon leur demande. Le père de son ex compagne le charge d'une mission : traquer des trafiquants de drogue, qui commencent à introduire de l'héroïne dans la réserve. Un problème qui le touche d'autant plus que son neveu vient d'être victime d'une overdose.

Virgil et Nathan n'en ont pas fini avec la drogue. On découvre dans le casier du jeune homme, au lycée, une importante quantité de morphiniques. Suspecté de faire partie d'un réseau, Nathan est incarcéré, et ne doit sa libération qu'à condition de coopérer avec la police en se faisant passer pour un acheteur auprès des dealers. Contraint et forcé, Virgil joue le jeu et mêle sa propre traque au travail des autorités. Roman social tout autant que thriller, le récit fait la part belle aux conditions de vie des Indiens dans la réserve – dont il ne fait pas oublier qu'on leur a confisqué leurs terres pour les parquer dans un territoire réduit ; la population est pauvre et s'alimente mal, au point qu'un chef vient assurer des formations pour rééduquer les habitants et leur apprendre à cuisiner avec les produits locaux ; on tâche de perpétuer les traditions et on pratique des rituels que Virgil a rejetés jusqu'à ce qu'il redécouvre le pouvoir de la sagesse des anciens. L'homme est une sorte de mercenaire, qui n'hésite pas à faire usage d'une violence extrême puisqu'on le paie pour cela, mais pas seulement. Virgil n'est pas une brute : si on a recours à lui, c'est bien à cause de la faillite des autorités. La justice indienne traditionnelle, qui consiste à refuser de frapper celui qu'on a vaincu, est certes à l'opposé de celle que pratique Virgil, mais il agit faute d'une justice efficace et équitable, et même si on ne partage pas cette idée de se substituer à un système pénal, on ne peut que partager la colère de l'homme face à l'impunité des criminels. Vaste question, qui donne à ce récit une dimension politique et morale très intéressante.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Amérindiens / Etats-Unis / justice /drogue / pauvreté /


Posté le 19/04/2021 à 17:43

L'hôtel de verre, Emily St. John Mandel / trad. de l'anglais. Rivages 02/2021 (Noir). 398 p. 22 € ****

         Un hôtel de luxe isolé sur une île au nord de Vancouver. Au bar, Vincent, une jeune femme discrète autant qu'elle est belle. En homme à tout faire, son demi-frère Paul, musicien et toxicomane. Un client, Leon Prevant, cadre dans une compagnie maritime. Le propriétaire des lieux, Jonathan Alkaitis, un homme d'affaires richissime. Et une nuit, on écrit sur la vitre du hall cette phrase énigmatique : "Et si vous avaliez du verre brisé ?", qui suscite l'horreur. Voilà la pièce centrale d'un puzzle gigantesque, qui s'étend sur une trentaine d'années et nous emmène dans le milieu des spéculations boursières ou du transport maritime, à travers les destins de personnages divers.

         Un récit étrange, qui saute d'une époque à une autre, commence par la noyade de Vincent dans les eaux mauritaniennes, s'attache tour à tour aux différents personnages dans une narration qui mêle passé et anticipation, réalité économique – avec le montage financier opéré par Alkaitis sur le modèle d'une pyramide de Ponzi – et fantasmagorie, des passages de "contrevie" où tout serait bien différent, et des fantômes qui apparaissent aux survivants. Un récit inclassable dans lequel on pourrait se perdre, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de protagoniste, que Vincent n'est qu'une pièce de l'échiquier où tour à tour chacune des pièces connait un destin conditionné au déplacement des autres pièces. Mais tout est affreusement, terriblement logique : l'escroquerie d'Alkaitis, qui entraîne dans sa chute tous ceux qui gravitaient dans sa sphère, illustre parfaitement cette imbrication : qu'une seule pièce bouge, et c'est toutes les autres pièces qui en subissent les conséquences, dans un enchainement inéluctable. Alors, on a beau s'imaginer une contrevie, jouer au "Et si…" ne mène à rien qu'à échopper de 170 ans de prison, vivre sa retraite dans un camping-car où se noyer en tombant du pont d'un transatlantique. Imparable.


Posté le 19/04/2021 à 17:42

Par le vent pleuré, Ron Rash / trad. de l'anglais. Points, 08/2018. 224 p. 7 € ****

Dans une petite ville paisible au cœur des Appalaches, on retrouve une poignée d'ossements. Il s'agit d'une jeune femme, qui a vécu là quelques mois une cinquantaine d'années plus tôt. Avec son envie de vivre, son insouciance et sa sensualité, Ligeia séduit deux frères, Bill et Eugene, qui vivent bien loin des révolutions contestataires de l'époque, et sous la coupe d'un grand-père tyrannique et conservateur. Sous son influence, Eugene, qui n'a pas 18 ans, transgresse les interdits, découvre l'alcool, la drogue et la sexualité, tandis que son frère, qui prépare activement des études de médecine, prend de la distance. L'été s'achève, Ligeia quitte la ville, sans jamais plus donner de nouvelles au jeune homme. La macabre découverte fait surgir chez Eugene, qui a abandonné toutes ses ambitions littéraires pour sombrer dans l'alcoolisme, les fantômes du passé. Désormais, il lui faut découvrir ce qui est arrivé à la jeune sirène délurée de sa jeunesse, et interroger son frère, devenu un chirurgien très habile, sur ce qu'il sait. Mais Bill n'est guère disponible, ni disposé à revenir sur le passé.

A travers un va-et-vient entre le présent d'Eugene et ses souvenirs, se met en place la relation qui unit les deux frères, faite d'amour et de rivalité. L'aîné est promis à un bel avenir qui suit la voie toute tracée par le grand-père abusif, qui régente toute la famille au seul prétexte qu'il détient les cordons de la bourse ; le benjamin sensible, artiste, n'a commis que le péché de tomber amoureux d'une jeune fille subversive. Ron Rash explore avec sono talent habituel l'univers familial à l'époque où les Beatles chantaient "ob-la-di ob-la-da life goes on", quand on envisageait la vie en communauté et l'amour libre, au croisement de deux générations qui s'affrontent, incarnées d'un côté par ces deux frères coincés entre leur sens du devoir et leur envie de transgression et de l'autre par la sirène venue se baigner au bord de la Tuckaseegee.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / hippies / transgression / meurtre / famille / frères /


Posté le 10/04/2021 à 19:30

Tu aurais dû t'en aller, Daniel Kehlmann / trad. de l'allemand. Actes Sud, 02/2021. 91 p. 10 € ***

Un scénariste en mal d'inspiration loue pour sa famille une belle maison dans les montagnes allemandes. Mais l'euphorie de l'arrivée cède vite le pas à une tension grandissante, tandis que l'atmosphère devient de plus en plus angoissante, avec un voisinage louche et des événements inexpliqués. La maison moderne et accueillante devient un piège dont il est difficile de sortir...

Le narrateur mêle l'écriture de son scénario au journal de bord qu'il tient durant son séjour dans un petit carnet. C'est la première étape d'un état de confusion qui va grandissant, au fur et à mesure que le lieu change autour de lui. Des portes qui ne sont pas à leur place, un couloir qui se rallonge, des pièces qui débouchent sur rien, le décor semble se déformer en même temps que se modifie la perception du temps et de l'espace du scénariste. Il continue tout de même à tenir son journal comme il peut, mélange la relation des faits avec celle de ses rêves, ne finit pas ses phrases, on s'y perdu autant qu'il est perdu. Drôle de récit que celui-là, qui suscite chez le lecteur une sensation mêlée d'horreur et d'incompréhension assez déroutante – si c'était le pari de son auteur, c'est bien réussi.

 

Catégorie : Littérature étrangère

fantastique / scénario / folie / fantôme /


Posté le 10/04/2021 à 19:26

Le chant de la Tamassee, Ron Rash / trad. de l'anglais. Points, 02/2017. 25 p. 7 € *****

Ruth Kowalsky, 12 ans, se noie dans la Tamassee, rivière de Caroline du Sud. Son corps se coince sous un rocher. Le père de la victime demande l'installation d'un barrage amovible pour détourner le cours de l'eau vers la rive droite et récupérer le corps de sa fille, contre l'avis des gens du cru qui connaissent le danger encouru. Une guerre s'engage alors avec les écologistes locaux, qui s'appuient sur la loi fédérale interdisant à quiconque de perturber l'état naturel d'une rivière qui a obtenu le label "sauvage". Très vite, le fait-divers prend une dimension nationale, et une jeune photographe de presse, Maggie, native du comté où se joue le drame, est chargée de couvrir les événements. Mais comme beaucoup, elle s'interroge sur ce choix cornélien entre la protection de la nature et le deuil d'un enfant...

Ce n'est pas sa seule interrogation, d'ailleurs. Maggie est attirée par son collègue grand reporter chargé de couvrir l'événement avec elle. Allen est porteur d'un passé douloureux dont elle ne sait que faire. Peut-elle se laisser aller à le séduire ou à se laisser séduire, alors qu'elle-même porte les stigmates – le mot n'est pas que métaphorique – d'une enfance blessée qui l'a conduite à s'éloigner de son père désormais malade ? Comme souvent chez Ron Rash, la nature est mêlée de façon inextricable aux personnages : ceux-ci sont en proie à des tourments intérieurs qui abondent sous la surface et finissent par ressurgir, alors qu'en surface la mort d'une enfant devient l'enjeu d'un conflit écologique et politique. En toile de fond, la Tamassee cristallise tous les avis : elle est frontière de deux états,  et symbole de la défense d'une nature mise à mal par les prétentions humaines. On pourrait la croire inoffensive ou tout du moins domptable par l'homme, mais c'est une eau vive aux méandres dangereux, qui abrite dans ses profondeurs des courants mortels.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / nature / écologie / deuil / famille /


Posté le 17/03/2021 à 10:52

Zoomania, Abby Geni / trad. de l'anglais. Actes Sud, 01/2021. 357 p. 23 € *****

         A Mercy, petite ville de l'Oklahoma, une tornade dévaste le quartier où vit la famille McCloud ainsi que sa maison. Les quatre enfants, réfugiés dans l'abri au sous-sol, se retrouvent livrés à eux-mêmes puisque le père a disparu pendant la tornade. Tucker, le seul garçon de la fratrie, gêné par la médiatisation de sa famille à laquelle s'est vouée l'aînée, Darlene, disparaît quelques semaines plus tard après une violente dispute. Trois ans après, les trois sœurs vivotent dans un mobil home grâce au petit salaire de Darlene. Cora, la benjamine, souffre toujours de l'absence de son grand-frère. C'est alors qu'une bombe explose dans une usine de cosmétiques, libérant tous les animaux de laboratoire. Tucker, militant de la cause animale, arrive blessé au mobil home, et enlève sa sœur pour fuir vers l'ouest.

         Road movie terrible que celui de ces frère et sœur : la deuxième, trop jeune pour se rendre compte des réels enjeux à l'œuvre et pour une pareille aventure, voue au premier un amour et une admiration sans bornes. Ils roulent vers l'ouest selon un vague plan établi par Tucker, qui n'a pour seule motivation que de fuir la police et de libérer les animaux du joug humain, dans des conditions de vie et d'hygiène déplorables, à bord de voitures volées, dormant dans des fossés ou un caveau de cimetière. Que perçoit Cora des projets de son frère ? Elle le suit, l'écoute lui raconter des histoires, lui parler de l'anthropocène et lui enseigner la pyramide de la domestication, une invention de son cru. Un réel endoctrinement qu'elle n'est pas capable de remettre en cause, jusqu'au moment où Tucker commet un meurtre. Malade et dénutrie, elle se met à penser avec regret au mobil home et à ses deux sœurs. Abby Geni réussit le pari de rester à hauteur d'enfant, Cora devine plutôt qu'elle réalise pleinement à quel point son grand frère adoré s'est radicalisé jusqu'au fanatisme. En alternance, elle cède la parole à Darlene, qui a sacrifié son avenir d'étudiante pour devenir chef de famille à 18 ans. L'histoire de cette jeune femme vient donner corps à un récit très réaliste qui dépasse ainsi la seule thématique de l'éco-terrorisme pour aborder également la réalité cruelle des laissés pour compte de la nation américaine.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / écologie / terrorisme / famille / deuil / influence /


Posté le 17/03/2021 à 10:51

Novecento : pianiste, Alessandro Baricco / trad. de l'italien. Galimard, 02/2021 (Folio). 84 p. 5 € ****

Dans un monologue théâtral, un trompettiste raconte comment il se fait embaucher sur le paquebot Virginian, où il fait la connaissance de Danny  Boodmann T.D. Lemon Novecento, un pianiste surdoué qui n'a jamais mis pied à terre de sa vie. Abandonné à la naissance, il a été adopté par un des marins et a développé un sens musical et un talent si grand qu'il va être provoqué en duel musical par un de ses confrères qui ne supporte pas la concurrence...

Récit inclassable selon son auteur, ce court récit de 71 pages est destiné à être lu à voix haute, et comporte des indications qui ressemblent fort à des didascalies et qui laissent imaginer quel beau spectacle il ferait. Un récit court, mais efficace, qui narre la vie plus qu'étrange de ce musicien qui n'a jamais touché terre et que la célébrité n'intéresse aucunement, et non sans un humour un peu absurde, notamment lorsque le narrateur fait la présentation farfelue de l'équipage dirigé par un capitaine claustrophobe, avec un pilote aveugle, un radio bègue et un médecin de bord au nom imprononçable (le pauvre homme s'appelle Klausermanspitzwegendorfentag). D'autres scènes cocasses ou surprenantes émaillent le récit, non sans une étrange poésie, comme celle où, lors d'une tempête durant laquelle notre trompettiste fait connaissance avec Novecento, qui lui demande d'enlever les cales du piano, les deux hommes s'installent devant le clavier et que le musicien joue, tandis que la tempête fait valser l'instrument, le tabouret et les deux hommes à travers toute la salle. Et puis, à l'issue du duel, le piano est si chaud après la prestation de Novecento qu'il allume une cigarette en approchant la cigarette des cordes. C'est drôle, et terriblement mélancolique.

 

Catégorie :

musique / bateau / absurde / humour /


Posté le 12/02/2021 à 11:07

Betty, Tiffany McDaniel / trad. de l'anglais. Gallmeister, 08/2020. 716 p. 26,40 € *****

         Née d'un père indien cherokee et d'une mère blanche, Betty Carpenter grandit au sein d'une famille nombreuse dans une petite ville de l'Ohio. Elle raconte son enfance, puis son adolescence, ses drames personnels - à l'école, elle est en butte au racisme de ses camarades et des enseignants – et ceux de la famille, qui voit mourir plusieurs de ses enfants. Comme pour exorciser tout cela, elle écrit ses histoires, qu'elle enferme dans des bocaux qu'elle enterre. Nourrie des légendes indiennes racontées par son père, elle se forge petit-à-petit une identité pour devenir une femme fière et forte.

         J'ai eu mal au ventre pendant toute la lecture de ce roman. Betty aux cheveux trop noirs et à la peau trop sombre subit quotidiennement une discrimination que ses sœurs ne connaissent pas, elle doit composer avec la folie de sa mère qui lui raconte, en guise de cadeau d'anniversaire, le viol et l'inceste dont elle a été victime des années durant, elle assiste au viol de sa sœur aînée par leur grand frère ; c'est une enfance difficile, marquée par les deuils, le rejet social puisque son père n'est pas non plus épargné par la discrimination, et si l'on fait appel à lui pour sa science des plantes, il reste toujours un indien dont il faut se méfier. J'ai eu mal au ventre tout du long, mais j'ai respiré aussi parmi les arbres, en découvrant les légendes indiennes sur lesquelles se fonde Landon Carpenter pour faire admettre à ses enfants les grandes injustices de la vie. La relation très forte qui unit ce père profondément aimant et sa fille qu'il surnomme sa "petite indienne" donne à ce sombre récit une belle luminosité, et c'est pleine d'espoir que cette jeune femme quitte la maison familiale, après la mort de son mentor, pour aller au bout du monde. C'est un premier roman un peu long certes que nous propose Tiffany McDaniel, mais un très beau récit initiatique.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / amérindien / famille / enfance / adolescence / 


Posté le 01/11/2020 à 15:57

Les secrets de ma mère, Jessie Burton / trad. de l'anglais. Gallimard, 08/2020. 504 p. 23 € ****

       Rose Simmons n'a jamais connu sa mère, qui l'a abandonnée alors qu'elle était bébé, et l'a laissée à son père. Pourquoi est-elle partie ? Qu'est-elle devenue ? Est-elle au moins toujours vivante ? Est-ce à cause de son absence que Rose se sent si mal, sans réel but dans l'existence ? Son père, qui l'a élevée seul, ne peut répondre à ses questions. Rose décide de se lancer dans une quête de ses origines, et de prendre attache auprès de Constance Holden, une écrivaine à succès dans les années 80 qui a bien connu sa mère et qui, septuagénaire, vit retirée de toute vue publique depuis qu'elle s'est arrêtée d'écrire, il y a trente ans. Elle parvient à se faire embaucher par Connie comme assistante personnelle, sans lui révéler qui elle est, espérant que l'auteure lui livrera des informations sur sa mère.

        S'ouvrant sur la rencontre, en 1980, de Connie et d'Elise Morceau, la mère de Rose, le roman est construit en un va-et-vient habile entre les deux époques. Nous découvrons, parfois en même temps que Rose, parfois un peu avant elle, le personnage qu'était Elise. Elise amoureuse de Connie, laquelle l'a emmenée à Los Angeles, où aurait lieu le tournage du film adapté de son deuxième roman. Elise jeune, belle et perdue, dépendante de Connie, et peu sensible aux charmes artificiels de la société californienne dont elle apprécie peu les mensonges et les coups bas, et dans lesquels sa compagne se plaît. En se rapprochant de la Connie vieillissante et percluse d'arthrose, et en gagnant sa confiance, Rose réalise ainsi une quête d'identité qui n'est pas sans douleur, mais qui lui permet, enfin, de devenir elle-même. C'est un beau récit que celui-là, qui présente aussi de beaux portraits de femmes et questionne sur la maternité, l'amour et la création littéraire.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / Angleterre / quête d'identité / amour / abandon / famille /

 

Roman lu dans le cadre Masse Critique Babelio.


Posté le 12/10/2020 à 16:49

Nickolas Butler, Le petit-fils / trad. de l'anglais. Stock, 01/2020. 343 p. 22 € *****

       Lyle et Peg vivent paisiblement leur vie de retraités dans leur maison du Wisconsin. Lyle partage son temps entre l'entretien d'un verger, des discussions avec son ami Hoot et des activités avec son petit-fils Isaac. Celui-ci vit chez eux avec sa mère Shiloh, la fille adoptive du couple. Seul bémol, Shiloh se met à fréquenter assidûment la paroisse évangéliste de Coulee Lands et devient une fervente croyante. Sous l'influence du jeune pasteur, elle prétend qu'Isaac possède un donc de guérisseur. Face au scepticisme de Lyle, elle décide d'éloigner le jeune garçon de ses grands-parents, qui commencent réellement à s'inquiéter pour l'enfant…

        Shiloh et son père ne s'entendent pas. Kyle a cessé de croire en Dieu mais, pour l'amour de sa fille, fait l'effort s'assister aux offices, malgré sa méfiance. Il a terriblement raison : se déroule alors l'histoire implacable d'une emprise de plus en plus grande, qui met en danger la vie d'Isaac, face à laquelle les grands-parents sont absolument impuissants. Le thème du sectarisme qui sert de fil conducteur à l'histoire est secondé par celui de la nature. Les activités de Lyle dans le verger, et notamment le moment où il essaie de préserver les arbres du gel tardif donnent lieu à de très belles pages où se mêlent drame et poésie. Un très beau roman fluide et puissant.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / secte / manipulation mentale / maltraitance /


Posté le 12/10/2020 à 16:46

Autant en emporte le vent volumes 1 et 2, Margaret Mitchell / trad. de l'anglais. Gallmeister, 05/2020. 702 et 717 p. 13 € le volume ****

         Georgie, Etats-Unis, avril 1861. Toute la famille O'Hara vit à la plantation de Tara, à une trentaine de kilomètres, et y coule des jours heureux. Scarlett, l'aînée des filles, n'a à se préoccuper que de ses nombreux prétendants à éconduire et de ses nouvelles toilettes qu'elle portera au prochain bal ou pique-nique. La guerre de Sécession vient troubler ce bel équilibre : les hommes valides sont requis pour se battre sous la bannière des Confédérés contre les Yankees. Scarlett, qui a vu l'homme qu'elle aimait en préférer une autre, épouse à la hâte un jeune homme qui meurt au combat quelques semaines plus tard. La voilà veuve et contrainte à une vie très dure à laquelle elle n'a pas été préparée, dans un monde de violence et de barbarie. Les aléas de la guerre la font se rapprocher du cynique Rhett Butler, profiteur sans scrupules, qui vient cependant en aide à sa famille.

         Margaret Mitchell fait le portrait d'une Amérique sudiste et conservatrice, où l'on achète des nègres comme des chevaux. Outre son aspect social, l'intérêt du roman réside dans l'évolution des personnages : Scarlett, futile, insouciante et parfaitement inculte, fait preuve au fur et à mesure de l'histoire d'un égoïsme intolérable, tandis que Rhett Butler perd de son cynisme et se révèle bien plus attachant ; enfin Mélanie, qui a ravi a Scarlett l'homme qu'elle convoitait, devient une véritable héroïne. La nouvelle traduction proposée par Josette Chicheportiche permet d'éviter le parler petit nègre et donne au récit une coloration un peu plus contemporaine, même si on ne dénonce jamais la discrimination et l'esclavage, qui semblent posés comme des éléments de réalité intangibles. Il est vrai cependant que l'époque de rédaction du roman, dans les années 30, était encore largement à la ségrégation, surtout dans le sud des Etats-Unis, et qu'on ne peut demander à Margaret Mitchell d'aller contre temps. Reconnaissons aussi que c'est l'occasion de redécouvrir un classique, malgré d'évidentes longueurs.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etast-Unis / 19ème siècle / guerre / esclavage / amour /


Posté le 16/09/2020 à 17:25

Nos espérances, Anna Hope / trad. de l'anglais. Gallimard, 06/2020. 353 p. 22 € ****

         Elles sont trois. Trois trentenaires londoniennes, qui ont partagé leurs années estudiantines dans une vieille maison délabrée de London Fields, leurs questions et leurs espérances sur l'à venir, leurs métiers, leurs amours, leur vie de femme. Dix ans plus tard, Hannah, Cate et Lissa ne se sont pas perdues de vue, malgré des destins bien différents. Hannah, mariée, subit sans succès des stimulations hormonales et des FIV, et souffre de l'enfant qui se fait attendre ; Lissa vivote de petits contrats d'actrice pour des publicités avant de décrocher temporairement un rôle dans une pièce de Tchekhov ; Cate, elle a un enfant, mais peine à s'épanouir dans son rôle de mère. Chacune projette dans l'autre ce qu'elle n'a pas, chacune est insatisfaite et toutes trois se demandent ce qu'elles ont fait de leurs projets et de leurs espoirs. D'une plume fine et sensible, à travers ces trois femmes fort différentes mais réunies par une solide amitié, Anna Hope s'interroge sur les désillusions, les compromis que suppose le fait de devenir adulte : la jeune femme que j'étais serait-elle fière de celle que je suis devenue pourrait être la question centrale de ce roman, qui a le mérite de ne jamais sombrer dans la nostalgie et le pathos. Hannah, Cate et Lissa ont fait ce qu'elles pouvaient, et c'est déjà beaucoup.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Angleterre / femme / destin /


Posté le 27/07/2020 à 16:38

Le soleil se lève aussi, Ernest Hemingway / trad. de l'anglais. Gallimard, 05/2019 (Folio). 276 p. **

         Dans le Paris des années 20, Jake Barnes est journaliste et mène une vie de patachon en compagnie de divers compagnons de beuverie, écrivains en veine ou en panne de succès, et Brett, une jeune femme délurée et séduisante qui collectionne les amants. Toute l'équipe se retrouve au pays basque pour assister à des corridas et à la célèbre fête de Saint Firmin.

         Voilà en deux phrases résumée l'intrigue de ce roman, portrait d'une génération perdue qui porte encore les stigmates de la Première Guerre mondiale. On s'alcoolise à outrance, et ça recommence dès le lendemain matin, on prend des taxis pour aller dans des bars où jouent des musiciens noirs, on discute, on s'invective, on applaudit le torero… Le lecteur, lui, se demande comment les personnages parviennent à tenir un tel rythme et attend vainement le drame, le moment où, enfin, l'histoire va basculer. Et rien ne se produit, on continue de boire, d'aimer, de quitter. Ce roman a le mérite de ressusciter le Paris de l'entre-deux guerres et l'Espagne des corridas, donnant l'occasion à Hemingway de laisser parler sa passion pour la tauromachie, mais sa construction très linéaire le rend longuet et peu attirant pour un lecteur contemporain, d'autant plus qu'il est desservi par une traduction vieillotte, notamment dans les dialogues. Relisons plutôt Le vieil homme et la mer !

 

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois

 

Catégorie : Littérature étrangère

Espagne / Paris / entre-deux guerres / alcool / fête / tauromachie /


Posté le 22/06/2020 à 11:41

Aux bons soins du docteur Kellogg, T.C. Boyle / trad. de l'anglais. Grasset, 10/1994. 494 p. ***

         Battle-Creek, 1907. Le docteur John Harvey Kellogg, parangon du végétarisme et des lavements intestinaux, a ouvert un hôpital surnommé le San où se presse toute la bonne et riche société américaine. Les patients se plient aux menus à base d'algues, de yaourts, de son et de succédanés protéiniques, aux exercices de respirations approfondies et à la vibrothérapie sans broncher. Arrivent Wull et Eleanor Lightbody, la première ayant déjà suivi des cures au sanatorium est profondément convaincue que le bon docteur saura la guérir de sa neurasthénie. Quant à Will, il souffre de maux d'estomac et d'une propension à l'alcool dont sa femme espère bien qu'il va guérir, alors que lui est plus que méfiant. Dans la même ville, surfant sur la vague diététique, un certain Charlie Ossining tente de monter une usine à produits pour petits-déjeuners, à coup de bluff et d'arnaques…

         Ce tout jeune vingtième siècle découvre l'alimentation saine, végétarienne et naturelle, et les bienfaits d'une vie qui exclut tout excès, interdit la consommation de toute viande, d'alcool et même, pour les patients du San, toute pratique sexuelle. Le docteur Kellogg est prêt à tout pour faire passer son message et à séduire son public, quitte à comparer un steak bien saignant à un étron, ou à présenter une louve devenue végétarienne à coup de punition. Il est si convaincu qu'il en devient convaincant, et jette les premiers principes d'une alimentation diététique qui fera ensuite école et de nombreux émules. Quant au pauvre Will, on suit ses mésaventures avec amusement et effarement quand il se voit infliger des lavements bi quotidiens, des séances de bains sinusoïdaux – au cours de l'une d'entre elles, un des patients est électrocuté -, des siestes dans le parc en plein hiver, tandis que sa femme découvre les plaisirs du naturisme et des massages de la matrice. Autre mésaventure, celle de Charlie, qui ne trouve rien de mieux que de s'acoquiner avec George, le fils renégat du docteur, une sorte de vagabond puant et haineux, et de se faire avoir par un associé qui dépense tout l'argent que Charlie a pu extorquer à sa tante. L'ensemble est plutôt plaisant, drôle, quoiqu'un peu long et à mon sens souffrant des effets de style du traducteur qui ne craint pas les tournures de phrases un peu ampoulées ou parfois vieillies.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / diététique / médecine /

Posté le 13/05/2020 à 09:35

Hudson River, Joyce Carol Oates / trad. de l'anglais. Stock, 02/2004. 519 p. 24,15 € ***

         Salthill-sur-Hudson, petite ville aux alentours de New-York. On y vit plutôt richement dans un univers idyllique et très conventionnel. Adam Berendt, sculpteur et résident de la petite ville, meurt un jour d'été en voulant sauver une petite fille de la noyade. Sa mort ébranle toute la communauté, en particulier de nombreuses femmes proches de l'artiste, dont elles étaient plus ou moins amoureuses. Berendt était attirant, bien qu'assez laid et borgne ; il possédait un charisme entretenu par un certain mystère sur ses origines. Comme pour retrouver qui était vraiment Adam Berendt, chacun des proches va essayer de le retrouver, dans son travail d'artiste et ses sculptures inachevées, dans les lieux où il a vécu, dans sa philosophie de la vie…

         Finalement, la réponse importe peu. Adam Berendt restera insaisissable. Ce qui compte, c'est le parcours que fait chacun des personnages, qui en réalité se cherche lui-même. Et se trouve, finalement. Joyce Carol Oates leur donne vie à tous, et ne craint pas d'entrer dans des luxes de détails qui font parfois perdre de vue l'objet initial du roman. On a là un roman de mœurs, qui décrit la vie de gens aisés dans une petite bourgade américaine conventionnelle, des histoires d'adultère, de rivalité, d'ambitions déçues, de relations parents-adolescents, sans réelle intrigue au final si ce n'est la quête de soi. J'ai précédemment lu le dernier roman de l'auteur, Un livre de martyrs américains, et ai retrouvé dans celui-ci le même soin à disséquer la société de la middle-class, la même finesse d'observation, et le même talent à entrer dans la psychologie des personnages sans jamais les juger. Mais dans les deux cas, j'ai trouvé le récit trop long, plein de digressions, et sans réelle colonne vertébrale.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / communauté / famille / divorce / sculpture /


Posté le 13/05/2020 à 09:30

L'Attrape-cœurs, J.D.Salinger / trad. de l'anglais. Pocket, 1986. 253 p. ****

         Holden Caufield est exclu de son collège. A quelques jours avant les vacances de Noël, il décide de s'enfuir et de rentrer à New-York. Il va alors traîner, écumer les bars, tâcher de retrouver d'anciennes petites amies sans parvenir à trouver les réponses aux questions qui le taraudent. A mi-chemin entre l'enfance qu'il encense, par le truchement de sa petite sœur Phoebe, et l'âge adulte qu'il critique fortement, il peine à trouver sa place.

         Certes, le roman a pris quelques rides, et le lecteur d'aujourd'hui peut sourire, à suivre Holden dans son vagabondage urbain et psychologique, et dans sa révolte adolescente. Pourtant, ses réflexions sont d'une justesse qui fait fi des époques : "On ne sait jamais si les filles elles veulent vraiment qu'on arrête ou si elles ont juste une frousse terrible" (p.115), comme une prémonition du discours actuel sur la "zone grise" et la notion de consentement ; au musée, il y a ces mots d 'une lucidité extrême sur l'esquimau qui pêchera à jamais son poisson dans le lac gelé ou les cerfs qui n'en finiront pas de boire dans la mare (p.148) alors que le visiteur, lui, changera à chaque visite. Il y a en Holden un mélange d'égocentrisme enfantin et de maturité qui finit par rendre le personnage touchant, quand il regarde les jambes des filles et se demande quel sera leur avenir, imaginant qu'elles vont épouser pour la plupart des "mecs complètement abrutis". Et je ne résiste pas à trouver génial son discours lorsqu'il débarque complètement ivre chez sa petite amie, d'un réalisme incroyable. Voilà peut-être pourquoi il faut lire L'attrape-cœur.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis /adolescence / révolte /

 

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois


Posté le 13/05/2020 à 09:24

Prête à tout, Joyce Maynard / trad. de l'anglais. Philippe Rey, 05/2015. 233 p. 20 € ****

         Susanne Maretto est une jeune femme ambitieuse qui rêve de devenir animatrice télé. Elle décroche un petit boulot de secrétaire dans une station locale et entreprend de réaliser un reportage auprès de lycéens. Trois d'entre eux acceptent de jouer le jeu et deviennent très proches de Suzanne. Mais son mari est assassiné. Suzanne est rapidement suspectée, ainsi que les trois jeunes gens.

       Joyce Mayard s'est inspirée d'un fait divers survenu en 1990 pour écrire son roman. Elle a choisi une écriture polyphonique, qui permet de mieux appréhender les mécanismes à l'œuvre dans tous ses personnages, jusqu'au meurtre. Il est question d'ambition, d'influence des médias, de fascination plus ou moins mortifère, de manipulation, de pauvreté culturelle, d'infidélité, d'obsession sexuelle et d'amour adolescent. L'ensemble est convaincant.

 

Catégorie : Littérature étrangère

couple / ambition / télévision / manipulation /


Posté le 12/05/2020 à 18:18

Lonesome Dove épisodes 1 et 2, Larry McMurtry / trad. de l'anglais. Gallmeister, 11/2011. 569 et 618 p. 11 € chaque volume. *****

Texas, 1880. Deux anciens rangers qui s'ennuient décident de voler du bétail au Mexique pour le conduire jusqu'au Nevada. Avec une équipe de cowboys recrutés pour l'occasion, Gus McCrae et le Capitaine Call vont ainsi parcourir cinq mille kilomètres à travers les plaines du far West. De nombreuses aventures les attendent…

Des chevaux, des Indiens plus ou moins pacifiques, des feux de camp, des plaines à n'en plus finir, des cowboys, des rivières, des morts aussi, tous les ingrédients réunis dans une épopée incroyable au temps des pionniers de la grande Amérique. Sur presque 1200 pages, l'auteur nous emmène sur les traces des vieux rangers et de nombreux personnages, le jeune Newt, Joshua Deets le pisteur, le shérif Jake Spoon, et aussi des femmes, Lorena et surtout Clara, qui incarne le féminisme et l'indépendance avant l'heure. On ne s'ennuie jamais, McMurtry sait mêler avec talent des intrigues secondaires à son intrigue principale, et donne une vraie dimension à tous ses personnages. Et surtout, on s'y croirait : on sent le feu de bois, on dort à même le sol, enveloppé dans son tapis de selle, on crache la poussière après une journée à suivre les têtes de bétail, on traverse à cheval des cours d'eau, on pleure en entendant chanter des Irlandais exilés… Un western qui peint une Amérique aux grands espaces déjà plus très vierges et conquis peu-à-peu par les colons.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / 19ème siècle / western / grands espaces /


Posté le 12/05/2020 à 18:12

Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates / trad. de l'anglais. Philippe Rey, 09/2019. 860 p. 25 € ***

         Un matin de novembre 2009, dans la petite ville de Muskegee Falls, Ohio, Luther Dumphy tire sur le Dr Augustus Vorhees et son garde du corps, devant le Centre des femmes où le médecin pratiquait des avortements. Il est arrêté et sera à l'issue d'un second procès condamné à mort, puis exécuté après être resté plus de quatre ans dans le couloir de la mort.

         Joyce Carol Oates nous fait découvrir les différents acteurs du drame. D'abord, c'est Dumphy, ses moments d'errance et sa foi profonde qui l'amène à fréquenter assidument une église anglicane où se réunissent également des militants pro life, qui martèlent devant les centres des femmes ou sur les réseaux sociaux : "Cessez de vous mentir, aucun bébé ne choisit de mourir.". Petit à petit, il se convainc d'être la main de Dieu. C'est Dieu qui veut qu'il agisse afin de sauver la vie d'enfants innocents que l'assassin Vorhees a tués. Nous entrons ensuite dans l'univers de la famille Vorhees, jusqu'au drame qui  fait littéralement éclater les relations entre la mère et ses enfants qu'elle ne parvient plus à élever. Les choses sont racontées par Naomi, la cadette, qui entreprend de réunir toutes les archives concernant son père. La parole est ensuite à Dawn, la fille de Dumphy, sensiblement du même âge que Naomi, terriblement mal dans sa peau, fervente chrétienne elle aussi, qui narre les péripéties du procès. L'auteur donne ensuite à voir le parcours croisé des deux jeunes filles, l'une découvrant sa grand-mère paternelle tandis que la deuxième devient boxeuse, sous le nom de "Marteau de Jésus".

         Joyce Carol Oates a le talent d'entrer dans la tête de ses personnages et de ne jamais prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Pro life, pro choix, elle ne se positionne jamais. Par ailleurs elle donne à voir certains aspects de la société américaine contemporaine, en particulier l'horreur des exécutions pratiquées par des amateurs puisqu'aucun personnel médical n'accepte de se charger des injections létales. L'exécution de Dumphy tient à ce titre le hit parade de l'horreur absolue. Dans ce livre bien fait mais à mon sens beaucoup trop long, on voit bien à quel point les deux protagonistes, assassin et victimes, sont les martyrs d'une cause à deux faces.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / avortement / meurtre / peine capitale / famille /

 

Posté le 12/05/2020 à 18:05

Dévorer le ciel, Paolo Gordano. Le Seuil, 08/2019. 454 p. 22,50 €. ***

      En vacances chez sa grand-mère dans un petit village des Pouilles, Teresa fait la connaissance de trois jeunes hommes qui vivent dans la ferme voisine : Nicola, Bern et Tommaso. Les jeunes gens deviennent amis et de revoient à chaque période estivale, jusqu'au moment où des liens amoureux l'unissent à Bern et lui font quitter sa famille milanaise pour s'installer avec lui dans une sorte de communauté qui prône le partage et l'autarcie complète. Avec ses enthousiasmes et ses désenchantements.

       Mais l'idéal se heurte aux ambitions, aux tensions et aux querelles. La communauté se fissure. Teresa et Bern s'accrochent à leur terre, expérimentent de nouvelles méthodes d'agriculture plus respectueuses de la nature, et tentent vainement, de plus en plus désespérément, d'avoir un enfant. Ce récit fait le portrait d'une génération née dans les années 90, pleines d'idéaux qui se cognent à la dureté de la vie.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Italie / communauté /


Posté le 12/05/2020 à 17:58

Starlight, Richard Wagamese / trad. De l'anglais. Zoe, 01/2019. 268 p. 21 € *****