Une vie comme les autres, Hanya Yanagihara (trad. de l'anglais). Buchet-Chastel, 12/2017. 813 p. 24 €

         C'est l'histoire de quatre garçons : JB, Jude, Malcom et Willem. Venus d'horizons et de familles très différentes, ils se rencontrent à la fac et ne se quitteront plus lorsqu'ils s'installeront à New York. Chacun mène sa carrière : JB est un peintre ambitieux très vite reconnu par le milieu artistique ; Jude, stupéfiant d'intelligent, devient un avocat redoutable ; Malcom est un architecte renommé ; enfin Willem, comédien, quitte les planches pour jouer dans des films à succès et fait une belle carrière. On pourrait suivre la vie de chacun d'eux, mais le récit se focalise surtout sur Jude, dont on découvre petit à petit les sévices atroces qu'il a subis au cours de son enfance, qui font de lui un homme fragile, persuadé de ne pouvoir être aimé.

         Du quatuor émergent deux figures, celle de Jude et celle de Willem, dont on suit la carrière montante au fil de ses tournages, tandis que Jude devient l'avocat froid et efficace qui remporte tous ses procès. JB, à part lors de quelques épisodes liés aux expositions de ses œuvres, et Malcom dont on ne saura guère plus que ce qui est dit au début de l'ouvrage, sont mis de côté rapidement, au profit du tandem et de ses proches, Andy, le médecin dévoué qui soigne les blessures de Jude, impuissant devant son désespoir, et Harold, devenu son père adoptif, prêt à tout endurer pour aimer ce fils qu'il a choisi, probablement afin de sublimer la perte de son propre petit garçon, à l'âge de 5 ans. Cet aspect psychologique est révélateur du dessein de l'auteur, qui semble avoir voulu, tout au long de ce récit, montrer les séquelles irréversibles d'une enfance placée sous le signe de la violence et de la pédophilie – à de demander comment Jude parvient encore à vivre, après avoir vécu sous la coupe de frère Luke, ce curé pervers qui va lui apprendre à se scarifier pour se soulager. Jude a une vision abjecte de lui-même, et cependant il va batailler pour être comme n'importe qui, ainsi que lui reproche JB, lors d'une dispute : "Tu vas passer ta vie à paraître complètement normal, ennuyeux et banal ?". C'est exactement le combat de la vie de Jude, être normal, ce qu'il va parvenir à faire un temps – quelques années de bonheur.

Cependant, malgré cette approche intéressante, le roman est long, beaucoup trop log, et l'auteur aurait gagné à éliminer nombre de digressions qui font perdre le fil de la narration. Et que dire des pages de description des sévices dont Jude a été victime, comme le dos de la main enduit d'huile par l'un des curés, auquel il met le feu pour le punir de lui avoir dérobé sa montre ? Des où l'on nous décrit en détail l'apparition de nouvelles plaies sur ses jambes abimées, qui s'infectent et se nécrosent ? Rien ne nous sera épargné, ira crescendo dans l'horreur. Fallait-il à ce point s'y complaire ? S'agissait-il de susciter la pitié chez le lecteur ? C'est chose faite assez rapidement. La suite ne génère que du dégoût… Reste la psychologie de Jude, ce survivant.

Malgré un indéniable travail de rédaction et de restitution d'un milieu artistique et intellectuel new-yorkais, ce roman est décidément trop long et indécent de violence. Sur la forme, les phrases sont parfois trop longues, au point que l'auteur se perd dans sa syntaxe. Dans la traduction française, on peut relever de nombreuses fautes d'accord, certains verbes mis au pluriel alors que le sujet, placé en avant dans la phrase, est au singulier, ou inversement*; une expression curieuse probablement due à une faute de traduction : "Il se garda la face pendant tout le dîner" (p.201) ; des fautes d'orthographe inadmissibles : "coûter très chères" (p.311), "Aucune des personnes qu'il connaissait n'était un accroc : ni aux drogues..." (p.315) ; enfin une perle : Jude cisèle des "feuilles de basilique" (p.719). J'ai du mal à concevoir qu'un éditeur comme Buchet-Chastel ait laissé passer de telles énormités...

 

*p.263 "quelqu'un à qui il pouvait demander n'importe quoi, […], qui ne portaient que des tee-shirt à manches longues que parce qu'il avait froid…"

p.404 "Andy était resté en ville ce week-end-là, et il avait déclaré qu'ils nous retrouveraient à son cabinet dans vingt minutes" (qui est ce "ils" ?)

p.436 "Tous les moyens qui l'avaient aidé par le passé – la concentration, les scarifications – ne l'aidaient plus. Ils s'entaillaient de plus en plus…"

p.437 A propos de la notoriété de Willem : "Il te regarde parce que tu es connu."

p.565 "…tandis qu'ils descendaient la petite colline qui partait en pente depuis l'endroit où la maison se tiendrait, puis viraient à gauche en direction de la forêt" (c'est le chemin qui vire à gauche, pas les hommes !)

p.743 "Cependant il vit des gens suspendus à des poulies au sommet du panneau et se rendit compte qu'il recouvrait la publicité de peinture…"

p.765 "un accrochage […] constitué de dessins et de petites peintures, d'études et d'expérimentations que JB réalisaient entre ses grandes séries."

 

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices de Elle

 

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

moeurs / amour / Etats-Unis /

Posté le 14/02/2018 à 14:45