2022/28 Lorsque le dernier arbre, Michael Christie / trad. de l'anglais. Albin Michel, 08/2021 (Terres d'Amérique). 587 p. 22,90 € *****

2038. Une catastrophe écologique a décimé tous les arbres et transformé la planète en désert où souffle une poussière porteuse d'une maladie mortelle appelée la "craqueuse". Le Canada échappe en partie à ce dépérissement, notamment au sein d'une île, devenue un véritable sanctuaire où vivent des spécimens âgés de plusieurs centaines d'années. Des touristes fortunés, appelés les Pélerins, y sont accueillis pour des visites strictement encadrées de cette forêt primaire. La dendrologue Jacinda Greenwood, surnommé Jake, est l'une des guides de la Cathédrale. Endettée jusqu'au cou, elle apprend qu'elle serait la descendante d'un richissime homme d'affaires sulfureux, propriétaire de l'île... La suite du roman remonte le temps et les différentes générations des ancêtres de Jake, jusqu'au début du 20ème siècle, pour découvrir la filiation et la chaîne de coïncidences qui l'ont conduite jusqu'ici...

La dendrochronologie permet d'évaluer l'âge d'un arbre, à partir de sa souche s'il a été abattu, ou par carottage. On peut alors compter les cernes de croissance de sa souche. Mais on peut aussi découvrir son histoire : les cernes de l'aubier puis du duramen gardent l'empreinte des conditions dans lesquelles il a vécu, les années fastes, suffisamment pluvieuses ou sans voisin gênant, abattu ou tombé lors d'une tempête (cernes larges) et les périodes maigres, sécheresse, attaque d'insectes ou gelée tardive (cernes étroits).

Ainsi remonte-t-on les anneaux de l'arbre généalogique de Jake, jusqu'à la moelle du tronc, l'accident de train de 1908 qui a conduit à la rencontre improbable de deux garçons qu'on a tenus pour des frères. "Même les arbres les plus majestueux ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre." Et puis, on repart dans l'autre sens pour repasser par les mêmes cernes, 1934, 1974, 2008, jusqu'à l'aubier de 2038, avec désormais à l'esprit les multiples événements vécus et les choix faits par la lignée des Greewood. Le récit surfe avec intelligence sur la métaphore forestière, et trouve son point d'orgue lorsque Jake est contrainte, la mort dans l'âme, d'abattre le "doigt d'honneur de Dieu", le spécimen le plus ancien de l'île, victime d'un champignon qui ronge son bois. Jake remonte une partie des mille deux cents cernes de la souche du géant abattu : "[…] tout ce que l'arbre a vécu, préservé et consigné dans son propre corps. Chaque arbre est tenu par son histoire, par l'ossature de ses ancêtres. Et depuis que le journal est parvenu jusqu'à elle, Jake comprend que sa propre vie est étayée par des couches invisibles, structurée par les vies qui l'ont précédée. Et par une série de crimes et de miracles, d'accidents, de décisions, de sacrifices et d'erreurs auxquels elle doit d'habiter ce corps et cette époque-ci." Amour, jalousie, trahison, pauvreté extrême, engagement écologique… les choix de chaque membre de la lignée ont des conséquences qui conditionnent la vie de leurs descendants et, plus ou moins directement, l'environnement. Réchauffement climatique, déforestation, liens familiaux, transmission, Michael Christie aborde avec talent, à travers 130 années d'épopée familiale, de nombreuses thématiques qui abolissent le passé et le futur dans un continuum tout forestier : un arbre est coupé, un arbrisseau a déjà jailli de la souche – et la vie continue, avec un peu de chance.

 

Catégorie : Littérature française

arbre / forêt / déforestation / environnement / famille / générations /


Posté le 29/03/2022 à 12:57