La part de l'autre, Eric-Emmanuel Schmitt. Le Livre de Poche, 09/2018. 503 p. 8,30 € *****

         8 octobre 1908. Les résultats du concours d'entrée à l'Académie des beaux-arts tombent : Hitler est recalé, tandis qu'Adolf H. est reçu. Au bout de trois pages, la question fuse : "Que se serait-il passé si l'Académie des beaux-arts en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, à cette minute précise, le jury avait accepté Adolf Hitler ? Cette minute-là aurait changé le cours du monde. Que serait devenu le vingtième siècle sans le nazisme ? Y aurait-il eu une Seconde Guerre mondiale, cinquante-cinq millions de morts dont six millions de Juifs dans un univers où Adolf Hitler aurait été un peintre ?".

         Eric-Emmanuel Schmitt va donc explorer la piste : dans cet ample roman, il trace le parcours du vrai Hitler, né de la guerre, du dépit - "Il n'a que le talent de la haine. Mais il en a tout le talent", écrit-il dans une postface passionnante qui narre la genèse de la rédaction du roman, ses doutes en cours d'écriture et la réaction de son entourage ; il met parallèlement en scène un Adolf H. devenu étudiant en peinture, pas forcément peintre talentueux mais un homme "bien", un double antagoniste du dictateur assassin, qui "guérit et s'ouvre aux autres tandis qu'Hitler s'enfonce dans sa névrose en se coupant de tout rapport humain." Le premier est tout ce qu'il y a de plus réel, de plus glaçant, de plus horriblement véridique, infligeant à son auteur la tâche détestable d'entrer dans sa tête et de connaître par cœur les moindres détails de sa biographie, de la naissance de son antisémitisme à la fin de la guerre 14-18 à la solution finale ; le deuxième est lumineux d'humanité, environné de personnages qui font respirer, Onze-heures-trente, sœur Lucie, Sarah… Un projet qui lui a valu méfiance, voire condamnation, mais un résultat saisissant d'intelligence, relevant à la fois de la dystopie et d'une réflexion sur l'altérité, cette part de l'autre qu'Hitler a niée quand Adolf H. en a fait son miel.

 

Catégorie : Littérature française

seconde guerre mondiale / Hitler / altérité / dystopie /


Posté le 12/05/2020 à 18:16