Chavirer, Lola Lafon. Actes Sud, 08/2020. 345 p. 20,50 € *****

         Années 80. Cléo est en quatrième et rêve de devenir danseuse de modern jazz. Elle rencontre Cathy, qui la couvre de cadeaux et lui propose de postuler pour une bourse financée par une mystérieuse fondation nommée Galatée. Elle pourra réaliser son rêve et intégrer l'école d'une compagnie. Mais la bourse tarde à venir. En attendant, Cléo participe à un déjeuner avec des hommes plus âgés qu'elle, puis est chargée de repérer dans son collège d'autres jeunes filles qui pourraient elles aussi concourir pour obtenir la bourse. 25 ans plus tard, un appel à témoins est lancé pour retrouver les victimes de la fondation. Devenue danseuse pour la télévision, Cléo s'interroge sur son passé et sa part de responsabilité dans les méfaits accomplis par Galatée.

         Le récit est construit comme une sorte de puzzle qui mêle les époques - celle de l'adolescence de Cléo, ses débuts comme danseuse chez Drucker, sa vie de femme -, et les différentes personnes qu'elle a côtoyées. On ne s'y perd pas, tandis que se découvre, au fur et à mesure, le spectre de la pédophilie en cours dans les années 80, et qui laissait Matzneff et consorts donner libre cours à leur attirance pour les adolescents sans qu'à l'époque on n'en trouve grand-chose à redire ; s'y tissent aussi des réflexions sur le pardon et le poids des souvenirs. Comment oublier, comment vivre avec le remords d'avoir entraîné tant d'autres filles dans ce piège ? On découvre aussi le milieu de la danse et de la variété, ses coulisses, les faux-cils, et sous les plumes et les paillettes, les douleurs du corps et de l'âme, les salaires trop bas, les conditions de travail difficiles, dissimulées sous un sourire factice. Ce n'est sans doute pas un hasard si Lola Lafon a fait le lien entre les pratiques occultes de la pédophilie des années 80 et les dégâts qu'elle a causés chez leurs jeunes victimes, et la danse de cabaret : on sourit sous le fard, malgré l'armature en métal qui corsète le dos, malgré les courbatures et la fatigue, parce que c'est la loi du spectacle, the show must go on. Jusqu'à ce qu'enfin la parole se libère.

 

Catégorie : Littérature française

pédophilie / manipulation / consentement / danse / spectacle /


Posté le 30/10/2020 à 17:48