Le monde du vivant, Florent Marchet. Stock, 08/2020. 283 p. ****

Jérôme, ingénieur agronome, a tout plaqué pour se lancer dans l'agriculture bio. Mais c'est difficile, les dettes s'accumulent comme le nombre de travaux à faire et de tâches à effectuer chaque jour. Et voilà que Marion, sa femme, est victime d'un accident qui l'empêche de seconder Jérôme. Solène, bientôt 15 ans, doit pallier l'invalidité de sa mère, sans aucun enthousiasme. Elle déteste les travaux de la ferme et ne pense qu'à Baptiste, avec qui elle commence à sortir. Et voilà que son père recrute un jeune woofer qui va venir aider pendant quelques semaines…

Ce roman donne voix à Solène évidemment, qui exprime ses désirs, ses colères et toutes les contradictions de l'adolescence. Mais il laisse aussi parler Jérôme qui, submergé par ses propres soucis, en oublie d'aimer sa fille et lui crie dessus toute la journée, quitte à s'en vouloir ensuite, à Marion, qui fait souvent office de médiateur entre son mari et sa fille, et s'efforce de supporter vaillamment le climat de tension et de ne pas sombrer dans le découragement. Le monde du vivant, c'est celui de la vie : celle des néo-ruraux dont les rêves d'une agriculture raisonnée et biologique se heurtent à la cruauté de la réalité, via les discours écologiques de Jérôme et de Théo le woofer. Celle de Solène qui éprouve les premiers émois amoureux et le désir dont elle ne sait pas toujours trop quoi faire. Florent Marchet excelle dans la description du désir adolescent : à 14 ou 15 ans, on est partagé la fascination et le dégoût, on veut et on ne veut pas tout à la fois. Solène fait l'amour avec Baptiste parce qu'il lui a demandé, par curiosité, et parce qu'il faut bien se décider un jour. Elle n'en attend rien, n'a pas fantasmé là-dessus. "Une forte appréhension se mêle à une envie de transgresser. Il y a le mystère aussi, l'envie d'arracher l'écorce, de grandir d'un seul coup. Il faut bien en passer par là […]." Et évidemment c'est raté. Et puis il y a son attirance pour Théo, lequel finit par faire paraître bien fades les provocations de Baptiste. Enfin c'est la vie de la terre, cette campagne dont Jérôme regrette qu'elle ne soit pas davantage respectée, et que sa fille, malgré toute son agressivité envers son père, aime aussi : "Quelques gouttes de pluie tombaient mollement, libérant cette odeur de terre, de pétrichor qui se combine avec l'ozone. Elle a appris ça en sciences nat. C'est la même odeur, partout dans le monde, dès qu'une goutte de pluie tombe sur un sol sec." Se dit Solène lorsque tombe l'averse d'été. Lire ces lignes et découvrir le pétrichor, se rappeler cette odeur si particulière et volatile de terre mouillée, synonyme d'une fraîcheur bienvenue après la chaleur c'est se souvenir des beaux jours en cette automne morose et se dire qu'un jour, bientôt, tout ira mieux.

 

Catégorie : Littérature française

campagne / bio / famille / désir / jalousie /


Posté le 30/11/2020 à 11:36