2022/26 Les envolés, Etienne Kern. Gallimard, 06/2021. 146 p. *****

         Un matin du 4 février 1912, Franz Reicheld se jette du premier étage de la Tour Eiffel, vêtu d'une combinaison parachute de son invention. Son saut – et son échec – sont saisis par une caméra. L'histoire n'a retenu qu'une minute trente d'images de cet homme à la moustache imposante, qui tourne devant la caméra puis, debout sur une chaise, grimpe sur la rambarde, hésite, recule, puis se s'avance encore, pour s'élancer dans le vide. Etienne Kern s'empare de ce fait divers pour tisser l'histoire de ce tailleur d'origine hongroise établi à Paris, qui va vouer toutes ses forces et ses économies dans la création de ce prototype capable, l'espère-t-il, le croit-il, de faire voler l'homme et de sauver les vies de nombreux aviateurs. Il mêle à la reconstitution fictionnelle ses propres souvenirs, notamment ceux de deux êtres chers décédés par défenestration, qu'il lie à sa propre peur du vide. En contrepoint du récit du tailleur pour dames, il y a celui de son amie M., ses quelques photos qu'il décrit, avec chagrin, tendresse et pudeur. C'est un très beau roman, qui dit les parallèles étranges mais ô combien signifiants que fait l'esprit humain quand il se questionne ; un roman qui, avec des mots choisis, sobres, efficaces, rend hommage à ces envolés morts de n'avoir plus voulu toucher terre. "Tu es tous ceux qui sont tombés. Tu es tous ceux qu'on a perdus. Tu es cette évidence qui suffit à me rendre le jour un peu plus beau et le soir un peu plus triste, cette évidence que mes mots ne font qu'attester, cette évidence qui dit chacune des images où demeure quelque chose de leur présence et se retrouve leur visage familier, aimé, envolé : ils ont été."

 

Une belle découverte faite dans le cadre des "68 premières fois".

 

Catégorie : Littérature française

défénestration / invention / suicide / accident / folie / hommage /


Posté le 28/03/2022 à 10:20