Retraite

J'ai fait récemment la connaissance d'une femme de mon âge. Appelons-la Julie. Pas encore une amie, nous n'avons pas eu le temps de créer un lien, mais je crois suffisamment d'accointances pour que j'y voie là le début d'une amitié possible. Si elle se construit sur autre chose que le partage d'événements douloureux, de deuils, et sur la ressemblance de nos vies dans lesquelles on se tient, un peu cabossées, mais debout.

J'étais assise face à elle dans un restaurant bondé quand elle s'est présentée à moi, parmi le groupe d'amis réunis pour une soirée de lecture de textes. Elle m'a dit son nom, voyant que visiblement je ne me souvenais pas d'elle. Nous nous étions rencontrées l'année passée chez des amis communs, j'avais longuement parlé de mon fils et des difficultés que nous traversions alors tous deux. Je me rappelais fort bien avoir beaucoup parlé ce soir-là, mais pas de Julie. Je m'en suis voulu, je me suis traitée d'égoïste, des scrupules qu'elle a balayés sans autre forme de procès, avant que nous entamions une conversation un peu décousue dans le brouhaha ambiant. Conversation que nous avons continuée sur le chemin du retour à vélo, puisqu'il s'est avéré que nous habitions le même quartier, et que seule la pluie nous a fait interrompre. Nous nous sommes dit au revoir en nous promettant de nous revoir très vite, car nous avions beaucoup à nous dire.

Fait et dit, elle est venue dîner chez moi quelques jours plus tard. Une soirée à parler, boire pas mal, et confirmer une belle entente à venir. Je crois que j'aime ceux que la vie n'a pas épargnés. Bien sûr, il y a forcément un écho à mon propre vécu, mais pas seulement. Quand ils sont capables de résilience, qu'ils ont su éviter la tentation de l'amertume et qu'ils ne sont en rien blasés, ils font preuve d'une humanité et une profondeur particulières, qui me touchent au profond de ma propre sensibilité. C'est le cas de Julie, qui aime la vie comme elle vient, qu'elle cogne ou qu'elle soit plus clémente. Julie a un appétit de vivre contagieux, et se dit aidée le bouddhisme, qu'elle pratique depuis plusieurs années. Elle se lève très tôt chaque matin et consacre un long moment à la méditation. Est-ce cela qui lui a donné sa force morale et son sourire ? Peut-être. Sans doute. Mais pas que, je suppose.

Avant de partir, elle m'a demandé de lui prêter des romans que j'affectionnais particulièrement. Elle est repartie avec le très beau A la ligne de Joseph Ponthus, le roman de Gaëlle Nohant sur Robert Desnos qui m'avait tant touchée il y a deux ans, et Une fille sans histoire de Cécile Balavoine lu récemment– pour ce courage de s'être exposée sans fard, complaisance ni pudeur. Des livres qui, m'a-t-elle dit, accompagneront la retraite spirituelle qu'elle allait faire la semaine suivante.

Sa retraite a démarré hier, chez elle, pour cause de confinement. Elle m'a prévenue la veille de ce qu'elle allait couper son téléphone. Aujourd'hui, contrainte par la situation sanitaire à limiter mes relations sociales à mon fils et à mon voisin, je pense à elle, et éprouve pour elle une réelle admiration, à être capable de se couper de tout, y compris des liens que nous entretenons via les réseaux sociaux, dont pour ma part je ne sais pas me défaire. Il faut du courage je crois, pour s'affranchir ainsi volontairement du monde et aller explorer son âme sans craindre le silence et la solitude. J'espère que ses lectures l'accompagnent sans la distraire de sa quête de paix et d'harmonie.

Posté le 01/11/2020 à 16:46

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