L'hôtel de verre, Emily St. John Mandel / trad. de l'anglais. Rivages 02/2021 (Noir). 398 p. 22 € ****

         Un hôtel de luxe isolé sur une île au nord de Vancouver. Au bar, Vincent, une jeune femme discrète autant qu'elle est belle. En homme à tout faire, son demi-frère Paul, musicien et toxicomane. Un client, Leon Prevant, cadre dans une compagnie maritime. Le propriétaire des lieux, Jonathan Alkaitis, un homme d'affaires richissime. Et une nuit, on écrit sur la vitre du hall cette phrase énigmatique : "Et si vous avaliez du verre brisé ?", qui suscite l'horreur. Voilà la pièce centrale d'un puzzle gigantesque, qui s'étend sur une trentaine d'années et nous emmène dans le milieu des spéculations boursières ou du transport maritime, à travers les destins de personnages divers.

         Un récit étrange, qui saute d'une époque à une autre, commence par la noyade de Vincent dans les eaux mauritaniennes, s'attache tour à tour aux différents personnages dans une narration qui mêle passé et anticipation, réalité économique – avec le montage financier opéré par Alkaitis sur le modèle d'une pyramide de Ponzi – et fantasmagorie, des passages de "contrevie" où tout serait bien différent, et des fantômes qui apparaissent aux survivants. Un récit inclassable dans lequel on pourrait se perdre, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de protagoniste, que Vincent n'est qu'une pièce de l'échiquier où tour à tour chacune des pièces connait un destin conditionné au déplacement des autres pièces. Mais tout est affreusement, terriblement logique : l'escroquerie d'Alkaitis, qui entraîne dans sa chute tous ceux qui gravitaient dans sa sphère, illustre parfaitement cette imbrication : qu'une seule pièce bouge, et c'est toutes les autres pièces qui en subissent les conséquences, dans un enchainement inéluctable. Alors, on a beau s'imaginer une contrevie, jouer au "Et si…" ne mène à rien qu'à échopper de 170 ans de prison, vivre sa retraite dans un camping-car où se noyer en tombant du pont d'un transatlantique. Imparable.


Posté le 19/04/2021 à 17:42