Des diables et des saints, Jean-Baptiste Andréa. L'Iconoclaste, 01/2021. 364 p. 19 € *****

Un pianiste joue du Beethoven sur les pianos publics des halls de gare ou d'aéroport. Il joue divinement, dans l'indifférence des voyageurs. Que fait-il là et pourquoi ce concertiste gâche-t-il ainsi son talent ?, finit par lui demander un voyageur plus attentif que les autres. C'est alors que Joseph entreprend de raconter son histoire. A 15 ans, le voilà orphelin, et placé dans l'orphelinat des Confins, installé dans un ancien prieuré dans les Pyrénées... Il y a rencontré ceux qui sont devenus ses amis, la Fouine, Edison, Sinatra et Souzix. Et puis Rose. Cinquante ans après, s'il joue ainsi, dans l'indifférence des gens de passage, c'est pour elle…

Qu'il est horrible, cet orphelinat des Confins ! Y règnent la maltraitance, la malnutrition, le froid, et la cruauté de l'abbé Sénac qui n'a d'égale que la violence de son sbire, la Grenouille, lequel inflige aux malheureux garçons atteints d'énurésie la "cape de pisse", une punition qui oblige le coupable à faire le tour de la cour vêtu de ses draps souillés. Par réaction sans doute, on se serre les coudes, même si l'amitié n'est pas accordée d'office. Joseph parvient à se faire accepter avec son camarade Momo dans la société secrète de la Vigie, où ces garçons endurcis trouvent le moyen parfois d'aider les plus faibles, de faire rêver Souzix, le plus jeune, ou de protéger Momo, victime de graves crises d'épilepsie. Les pires épreuves donnent ainsi naissance à de formidables élans de fraternité – de rivalité aussi. Pour le coup, la présence de Rose serait presque secondaire, d'autant plus qu'elle est avortée sitôt commencée. Joseph cependant se montre d'une fidélité inébranlable envers sa seule aimée grâce à laquelle il a trouvé le rythme, ce rythme profond dont lui parlait M. Rothenberg, son vieux professeur de musique, irascible et exigeant, sans lequel Joseph n'aurait pas eu ce talent. Peu lui chaud, à Joseph enfin libre et devenu adulte, d'écumer les salles de concert et d'être applaudi ; il joue parce qu'enfin il a trouvé le rythme, cette magie dont Rothenberg lui avait parlé et que Rose avait entendue ; il joue pour qu'elle l'entende encore une fois, au hasard de l'arrivée d'un train ou d'un avion.

La plume de Jean-Baptiste Andréa, toujours si élégante et juste, fait surgir de multiples images, - on les voit, ces six garçons sous la voûte du ciel, à écouter la voix de Marie-Ange Roig dans Carrefour de nuit sur Sud Radio, on le voit, Joseph courbé sur la machine à écrire à taper les phrases de Sénac plutôt que des notes sur un clavier - ; elle fait surgir des rires et des larmes, avec la même justesse et la même force que dans Cent millions d'années et un jour. On en redemande.

 

Catégorie : Littérature française

orphelin / famille / enfance / maltraitance / amitié / amour / musique /


Posté le 01/02/2021 à 17:55