Les orageuses, Marcia Burnier. Cambourakis, 09/2020. 15 € ***

         Viol et humiliation, voilà ce qu'a subi cette bande de filles. Mia, Inès, Louise, Leo, Lila, Nina et Lucie en ont assez d'être passives, d'entendre des discours sur la réparation sur l'importance de "vivre avec" ; elles ne veulent plus de psychothérapie "pendant que l'autre continue sa vie sans accroc, sans choc, toujours plus puissant." Ce qu'elles veulent, ce qui va les guérir, c'est la vengeance. Alors elles s'organisent, et font faire justice elles-mêmes. L'idée, c'est de faire peur, de décourager le coupable de récidiver. Pas de le frapper ou le blesser, non, elles se contentent de dévaster l'appartement du sale type, de détruire ses objets de valeur sans le toucher. C'est Mia, qui assiste régulièrement à des audiences au Palais de Justice, qui est la plus vindicative, c'est elle qui a eu l'idée de ces expéditions punitives qui les ont soulagées. C'est elle enfin qui propose à Lucie, victime elle aussi d'un viol, de se joindre à elles. Voilà Lucie vengée, qui se sent moins seule, vivante, enfin capable de retrouver le sommeil.

         Alors bien sûr, elles n'ont pas tort, ces filles, de se faire justice quand la Justice peine à faire son travail, quand les violeurs écopent de peines bien inférieures aux dealers et aux trafiquants de toutes sortes. Peut-être peut-on aussi les envier, car quelle femme inquiète, à rentrer le soir tard les rues, à subir des mains pressantes dans un bus bondé, n'a pas eu envie un jour de se venger d'être considérée comme l'objet d'un désir malsain et humiliant ? De rabaisser l'homme qui l'a rabaissée ? De lui faire comprendre qu'elle n'est pas une chose dont on dispose à sa guise pour assouvir une pulsion ? De se sentir, enfin, toute puissante ? Oui, évidemment. Mais de là à passer à l'acte, c'est autre chose. On peut dénoncer les manquements de la Justice, le manque de soutien des femmes victimes de violences – bien que les choses commencent enfin à changer -, sans pour autant chercher à se faire justice soi-même. D'autant plus que les expéditions punitives n'excluent pas une sorte de jouissance délétère qui m'a gênée. Le discours féministe à ce titre me semble avoir des limites que ma morale m'interdirait de franchir. Cela dit, ce roman pose également la délicate question du consentement, et de la zone grise entre un refus et une acceptation forcée devant l'insistance du partenaire. Combien de femmes, épouses, compagnes, maîtresses d'un jour, un peu saoules, un peu perdues, ont-elles fini par abdiquer et accepter un rapport qu'elles auraient préféré ne pas avoir ? L'homme est-il alors un violeur, ou simplement un type trop pressé par son désir ? Le refus était-il audible, visible ? Où se situe la limite ? C'est la question que se pose Flo, le meilleur ami de Lucie, qui va faire lui aussi l'objet de la vengeance du gang de filles. Une question que le mouvement #MeToo n'a pas résolue.

 

Roman lu dans le cadre des "68 premières fois"

 

Catégorie : Littérature française

viol  / vengeance /


Posté le 15/03/2021 à 18:27