Ces rêves qu'on piétine, Sébastien Spitzer. Ed. de l'Observatoire, 305 p. 20 €

         Deux histoires en parallèle. D'un côté, Magda, qui fut d'abord madame Quandt, avant de devenir l'épouse de Goebbels, l'âme damnée d'Hitler. Elle renie ses origines pour satisfaire son ambition, et finit enfermée dans un bunker infesté de rats avec ses six enfants. De l'autre, un convoi de prisonniers et, parmi eux, Ava, une petite fille née dans le bloc 24-A d'un camp d'internement. Ava survit à toutes les épreuves et finit par être recueillie par les soldats américains, prise sous l'aile d'une photographe de guerre, Lee Meyer. Et, en filigrane dans le récit, les lettres que Richard Frieländer, un fourreur juif envoyé en déportation, envoyait à sa fille – qui n'est autre que Magda – qu'Ava conserve avec elle dans un rouleau et qu'elle finit par confier à Lee.

         Je me suis d'abord attachée à Magda, qui entreprend tout ce qu'il est possible pour échapper à sa condition bien trop modeste pour son ambition. Sans doute parce que j'ai eu du mal à suivre les péripéties du rouleau de lettres qui passe de main en main parmi les prisonniers, jamais perdu, miraculeusement préservé, tandis que ses propriétaires meurent les uns après les autres. Aimé, Judah, on n'a pas le temps de se familiariser à eux que la guerre les tue. Jusqu'à Fela et sa fille Ava. C'est alors qu'un retournement s'opère, que Magda devient la femme terrible que l'on devinait, monstrueuse d'égoïsme et d'indifférence, tandis qu'on s'accroche au sort de Fela et d'Ava. Qu'elles soient sauvées, cette mère et sa fille qui ont connu tant de souffrances !

         Le personnage de Madga est paradoxal, monstrueux et aimant tout à la fois. Capable d'un détachement sidérant au moment de verser le poison dans la bouche de ses enfants, et cependant attentive à qu'ils soient correctement habillés et coiffés, avec tout le souci d'une mère. Le roman n'explique pas son sextuple infanticide, là s'arrête l'invention d'un auteur qui a su s'arrêter au bon moment et ne pas sombrer dans une interprétation psychologique forcément incomplète. Etait-elle folle, depuis que Viktor Arlozoroff, son premier amour, était mort en déportation ? Souffrait-elle de schizophrénie, pour avoir été capable ensuite de donner tant d'enfants au lieutenant de Hitler ? Ou était-elle soulagée d'avance par son suicide imminent ? Les questions restent sans réponse…  Hitler, lui, paraît fort petit et insignifiant, semblant se rabougrir au fur et à mesure que les Allemands battent en retraite, tandis qu'Eva Braun est réduite à une simple danseuse ; que dire de la cérémonie de mariage pathétique dans le bunker, célébrant les noces de ceux qui vont bientôt se donner la mort ?

         Dans l'épouvantable cruauté de cette fin de guerre, ressortent, lumineuses, Ava et Lee Meyer. La première, dans son mutisme, survit à tout et au pire ; la seconde, qu'on identifie tout de suite comme le double de Lee Miller, la célèbre reporter photographe américaine, apporte au récit une légèreté et une respiration bienvenues.

         Le récit mêle habilement faits réels, avérés donc, et roman. J'ai été pour ma part davantage touchée par l'histoire des prisonniers et du sort des lettres de Richard Friedländer que par celle de Magda qui a fini comme on sait… La fiction l'emporte sur l'Histoire, ce premier roman me paraît très prometteur.

 

 

Catégorie : Romans historiques

guerre / nazisme /

Posté le 22/12/2017 à 15:44