Hugo Boris. Police. Grasset, 08/2016. 185 p. 17,50 €

Ils sont trois flics. Virginie, jeune maman enceinte de son collègue, qui a prévu d'avorter le lendemain, Aristide, beau parleur et amant de Virginie, et Erik, le chef d'équipe un peu tatillon et solitaire. On les appelle pour une mission inhabituelle : il s'agit d'escorter un "retenu", un étranger clandestin, jusqu'à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle où on le mettra dans un avion pour le reconduire dans son pays, le Tadjikistan. Au cours du trajet Virginie, complètement déstabilisée par son drame personnel, ouvre le dossier du retenu : torturé et battu à mort, il a quitté son pays à pied, espérant trouver refuge en Europe. Toutes ses convictions sont remises en cause : accomplir sa mission, c'est envoyer cet homme à une mort certaine....

Belle surprise que ce roman que j'avais mis de côté avec la certitude sans fondement qu'il n'allait pas me plaire. C'est pourtant l'inverse qui s'est produit : dès les premières pages, on est séduit par le choix de l'auteur de raconter son récit uniquement au travers du prisme de chacun de ses trois personnages. C'est Virginie qui ouvre l'histoire, alors qu'elle est en plein bouleversement intime, en se rappelant des scènes terribles de son métier : "Elle a su surnager tout cela parmi les mille tâches ingrates qui forment son ordinaire, elle est allée perdre sa tranquillité d'âme dans les mauvais lieux, obligée de vivre au-dessus de l'étonnement, de tout connaître du pire de l'existence, pour un salaire à peine décent, et elle se demande toujours comment elle n'a pas les yeux sales, stupéfaite qu'ils n'aient pas conservé, dans leur profondeur, le pâle reflet de la misère." Les mots sont justes, les phrases rythmées, l'histoire terriblement réaliste, et le présent de narration ne donne pas l'effet de distanciation habituel. L'aventure personnelle de ces quatre personnages, puisqu'aux trois policiers il faut ajouter Asomidin Tohirov, cet homme tétanisé de peur qu'on ramène à la frontière et à ses tortionnaires, ne laisse pas indifférent en ce sens qu'elle pointe la logique cruelle de la loi auquel doivent obéir ces trois fonctionnaires de l'Etat que leur morale ce soir-là ne pourra que réprouver, qui vont s'élever contre l'implacable, et ne se sortiront pas indemnes de ces quelques heures tendues à la rupture.

Outre le drame épouvantable des reconduites à la frontière des "retenus" politiques, le roman donne également une vision du métier de gardien de la paix loin des clichés machistes et manichéens : ni bons ni mauvais, ces hommes et ces femmes font leur métier, et certains ne sont pas épargnés par les doutes. Au vu du nombre de personnes qu'il remercie, l'auteur a dû fournir un gros travail de documentation, ce qui contribue à donner à son récit un aspect si réaliste.


 

Catégorie : Romans noirs

Immigration / police /

Posté le 15/01/2017 à 18:20