Fragment 2 : seins



Un buste de femme dessiné à l’encre de Chine. Le support, un papier sulfurisé qui porte des traces de cuisson. L’encre a glissé, s’est frayé un chemin parmi les résidus graisseux, noire sur des taches ocre et gris pâle. On les voit bien, les seins conquérants, les tétons dressés victorieux. Quelques coups de pinceau donnés d’une main sûre, des tapotements pour créer ombres et courbes, esquisser le cou, l’épaule, la ligne au milieu du ventre.

Seins idéaux, entre réel et fantasme, seins fiers à bras dans la perception qu’en avait la main. Intemporels, statuaires. Seins tangibles de la nuit du solstice d’hiver.

Photo J-M.C

Posté le 18/01/2023 à 16:39

Fragment 1 : lit



Un lit défait, une couette froissée. Un oreiller qui garde encore l’empreinte de la tête qui s’y est posée. Autour, quelques éléments, un cache-radiateur peint en blanc, dont la porte est entrouverte, une lampe sur pied, un chevalet ; au premier plan, les lattes d’un parquet chevron et le cadre du lit. Ils importent peu, seul compte ce lit vide, qui vient d’être quitté et laissé tel quel du désordre de la nuit. Seuls comptent ce lit quitté donc, et les traces d’une présence éphémère, cette couette repoussée au lever, ce creux de l’oreiller qui disent que quelqu’un a dormi là, dont le passage a été fixé par la prise de vue.

Ce vide n’en est pas un, c’est tout le paradoxe : il dit la présence en creux, il affirme - j’ai été là, je suis encore un peu là.

 

« Dans le creux que laisse apparaître une empreinte, et par lequel un mouvement dans le temps prend forme dans l’espace, on peut voir que quelqu’un ou quelque chose est passé. La présence de la trace témoigne de l’absence de ce qui l’a formée. […]. La trace ne rend jamais présent ce qui est absent ; elle représente la non-présence de l’Absent. Les traces ne donnent pas à voir ce qui est absent, mais plutôt l’absence même. » Qu’est-ce donc qu’une trace, et quelle est sa fonction épistémologique ? État des lieux / Spur. Spurenlesen als Orientierungstechnik und Wissenskunst, Sybille Krämer. Suhrkamp, 2007.

Photo J-M.C

Posté le 18/01/2023 à 16:33

Le mot qui court

Un dimanche de janvier presque beau, les jambes me démangent, tout autant que la promesse que je me suis faite de me remettre à la course. J’enfile donc la tenue ad hoc et ma vieille paire de baskets qui me sert désormais pour aller au jardin, visse mes écouteurs dans mes oreilles et entame un circuit que je fais habituellement en marchant. J’en ai estimé la distance à environ 5 kilomètres, soit la même que celle des courses de Strasbourg auxquelles j’ai promis – je fais beaucoup de promesses – de participer, en mai. Au bout de dix minutes, cuisses et mollets me rappellent à leur bon souvenir, et je m’octroie une pause, tandis que Sting chante à mes oreilles « Free free, set them free… ». Puis je repars, m’arrête, reprends. La danse n’entretient décidément pas l’endurance. N’importe, je viens au bout de mon circuit, et rentre avec le sentiment du devoir accompli.

 

Le lendemain, les quadriceps en bois, - toute descente d’escalier va être une véritable torture pendant les trois jours suivants -, et forte de conseils glanés en ligne, je décide de me rendre dans un magasin de sport pour faire l’emplette d’une bonne paire de chaussures neuves, accessoire indispensable à toute activité de ce genre sous peine de blessures. Brassière, legging chaud, baskets spéciales amorti, je m’apprête à passer à la caisse lorsque je me fais héler. C’est une amie d’amis, que je peine à reconnaitre sous le bonnet qui cache son abondante chevelure, un tapis de yoga sous le bras. Nous voilà rendues à causer un bon moment, entre les articles de randonnée et les demi-pointes soldées à un euro, et finissons par envisager des retrouvailles prochaines. Vérification respective de la présence du 06 de son interlocutrice dans son propre téléphone, vite faite chez moi – elle y figure bien. Elle cherche de son côté, trouve trois Manu dont aucun numéro ne correspond au mien, finit par me dénicher : prénom et nom, je suis bien présente, avec la mention, juste en dessous : « écrivaine ».

 

Pour un peu, je retournerais courir derechef.

Posté le 18/01/2023 à 11:48

Mon connard

Le con n’est pas un connard. Le premier s’excuse ; le deuxième estime avoir tous les droits.

Voilà une première présentation de cet individu auquel Eric La Blanche a consacré un ouvrage intitulé Le Connard - Enjeux et perspectives (Michel Lafon, août 2022).

 

On a tous croisé un connard : c’est celui qui vous grille la priorité, vous fait une queue de poisson, vous colle au pare-choc, klaxonne à tout va, vous insulte s’il estime que vous avez commis une erreur de conduite ; c’est celui qui gruge dans une file d’attente, vous impose sa musique avec son enceinte portative, met les pieds sur la banquette du train, la main aux fesses ; celui qui parle trop fort ou vous insulte parce que vous ne lui avez pas répondu quand il vous interpellait. Et caetera. Peut-être même avons-nous été nous aussi connards un jour.

 

Mais lui, il a la connardise pathologique, vissée au corps. C’est dans l’espace public que son comportement est le plus visible : mépris total des règles sociales, incivilités manifestes, manque total de scrupules et d’empathie. Il sévit aussi dans les lieux de pouvoir, au sein de l’entreprise : envahissement de l’espace d’autrui, menaces ou intimidation, propos vexatoires sous couvert de plaisanteries ou de prétendues taquineries, courriels cinglants, critiques du statut social ou professionnel, remontrances publiques ; il coupe la parole, jette des regards mauvais, traite les gens comme s’ils étaient invisibles. Dans son comportement, le connard vous renvoie à vous-même en vous disant que vous êtes inférieur, que vous ne méritez pas qu’il fasse attention à vous, bref que vous n’êtes pas digne de respect. C’est très humiliant.

 

La connardise n’est pas une maladie psychiatrique, mais elle relève bien d’une personnalité asociale : manque total d’empathie, capacité très forte à manipuler autrui, intolérance marquée à la frustration (ne pas supporter que quelqu’un arrive en retard par exemple), tendance à blâmer autrui (faire porter la culpabilité dans le discours pour culpabiliser), violation des normes sociales, total égocentrisme.

A noter qu’il faut distinguer le connard du pervers narcissique : le premier se trouve une victime, dans l’intention de faire du mal (c’est bien le sens du terme « pervers ») ; le deuxième cherche essentiellement à se mettre en avant.

Il arrive d’ailleurs que le connard fasse preuve de gentillesse. Parfois. Il peut ainsi prétendre être quelqu’un de bien et échapper aux critiques. Il se dit aussi victime de beaucoup de choses, d’injustice, de la méchanceté des gens, de l’incompréhension de sa différence – et de sa supériorité. Peut-être y a-t-il derrière tout cela une part de souffrance, bien enfouie quelque part.

 

Outre les incivilités, on reconnaît le connard à certains signes qui peuvent alerter – même s’ils ne sont pas suffisants en soi : un look et des attitudes trop marqués, une montre un peu trop chère, une voiture un peu trop grosse, le fait de parler un peu trop fort, une façon de se tenir… Ce sont les traces d’une personnalité qui dit « Regardez-moi ! Je ne suis pas comme vous, je suis plus ceci, moins cela. ». Il s’y croit, c’est-à-dire qu’il se prend pour quelqu’un d’autre, qu’il pense mériter, inconsciemment, qu’on le remarque, qu’on l’admire. Et tant pis si c’est au détriment des autres.

 

Mon connard prenait grand soin de lui et de son apparence : des vêtements bien choisis, des ongles parfaitement coupés, une peau douce et hydratée, une barbe soigneusement taillée. Il m’envoyait des selfies à chaque passage chez le barbier. Il était très fier d’un manteau customisé par ses soins avec des boutons et des passementeries, et revendiquait une originalité dans sa mise et dans son comportement. Il portait en permanence de grandes lunettes destinées à corriger sa presbytie, dont il n’avait nul besoin pour conduire ou se promener. Lors de notre rencontre, nous parlions depuis dix minutes qu’il se vantait de ne pas faire son âge, et se passait la main dans les cheveux avec des mines de jeune fille.

 

Mon connard tutoyait toute personne de moins de cinquante ans, les serveurs en terrasse, les artistes de rue, les gens que je lui présentais, sans distinction de la personne ou du lieu. Il s’est amusé un soir à provoquer une amie qui ne buvait pas d’alcool et à singer ses manières de « fille coincée ». Un jour, il a insulté une dame sur la plage, au prétexte qu’elle n’aurait pas dû nous reprocher de nous être assis trop près d’elle, dans des termes d’une grossièreté aussi violente que disproportionnée.

 

Mon connard critiquait beaucoup. Tout le monde avait droit à un commentaire salé : des gens mal habillés, des couples mal assortis – y compris mes amis -, le service dans un restaurant, l’état du logement de vacances qu’il aurait parfaitement su remettre en état, ses collègues. Il se plaignait souvent de l’injustice qu’il subissait sur son lieu de travail ; il se sentait incompris, dans sa différence et son originalité. On était méchant avec lui, on ne voyait pas les efforts qu’il faisait. Il aimait bien que je l’écoute s’épancher dans d’interminables soliloques sans grande logique ; il aimait bien quand on faisait de la musique. Il m’avait dit qu’il y avait quelque chose de rassurant à voir qu’on avait le même niveau de guitare, lui avec sa culture orale et moi avec mes cinq années de cours. J’avais essayé de lui apprendre le nom des accords, il préférait continuer à jouer à l’oreille.

Il m’aimait moins quand je lui reprochais de ne pas s’intéresser à mes autres activités, de ne pas lire les textes que j’avais écrits sur lui. Quand j’avais critiqué sa grossièreté sur la plage.  

 

Mon connard parlait beaucoup, sautant du coq à l’âne sans jamais entrer dans la profondeur d’une analyse ou d’une éventuelle remise en question. C’était toujours la faute des autres. Ma faute aussi si notre relation n’a pas fonctionné, si je n’ai pas su qui il était vraiment, si je n’ai pas pris mesure de sa propre souffrance, s’il s’est senti jugé. Pour le coup, je méritais bien cette rupture par SMS, ainsi que le grand silence qui a suivi, mon effacement en quelques clics.

 

On peut ajouter la lâcheté à la longue liste des attributs du connard.   

Posté le 19/10/2022 à 11:59

Sourcil

J’ai toujours envié ceux qui parvenaient à ne hausser qu’un sourcil à la fois. Quoi de mieux pour exprimer le doute, une légère moquerie, en sous entendant qu’on ne nous la fait pas, mais avec finesse ? J’ai bien essayé devant le miroir, contracté les muscles, grimacé avec art, mais rien n’y faisait, mes sourcils continuaient obstinément à se hausser de conserve, pathologiquement inséparables.

 

Jusqu’au jour où ce qu’on diagnostiquera ensuite comme un herpès à l’oreille enflamme le nerf facial responsable entre autres des mouvements d’expression du visage. Me voilà un dimanche matin à sentir le côté gauche de ma bouche un peu endormi, un peu comme une anesthésie faite par le dentiste. Le lendemain, c’est l’œil qui ne cligne plus, le nez qui fourmille, la bouche qui ne se ferme plus complètement.

 

Médecin traitant en congé, je me replie sur SOS Médecins. L’homme de l’art subodore une paralysie facile a frigore, me laisse avec mes questions et ma panique naissante pour aller solliciter un confrère – kes cé ksa ? Je fais un AVC ? J’ai une tumeur ? Je vais rester comme ça ? – et revenir pour passer une demi-heure à trouver quoi me prescrire, visiblement un peu décontenancé par mon cas, pour me dire ensuite que l’hypothèse d’une infection virale à l’oreille devra être confirmée par une consultation en urgence au service ORL de l’hôpital, et me rassurer, enfin, sur la bénignité de mon cas – tout devrait rentrer dans l’ordre d’ici un mois ou deux.

 

En attendant, je bafouille, bave dès que je bois et mange comme un nourrisson avale ses petits pots en en mettant autant dehors que dedans ; j’ai la bouche tordue dès que je souris ; si je n’ai plus de rides du côté gauche j’ai perdu toute capacité d’expression et j’ai pris dix ans du côté valide ; je ne me reconnais pas dans le miroir et porte un masque dès que je dois sortir de chez moi. Mais j’arrive à ne hausser qu’un sourcil à la fois.

Posté le 28/09/2022 à 18:36

L'amour moderne

« Je préfère en rester là avec toi. Je tiens à ma liberté physique et spirituelle. Nous aurions été de parfaits amis. »

« Je ne peux pas répondre à ce que tu désires. Désolé. »

« Je ne suis pas la personne qu’il te faut. Il vaut mieux qu’on ne se voie plus. »

« Restons amis. »

Et cætera.


Clap de fin, qui vient sans crier gare, ou du moins le croit-on, lorsqu’on lit le message la première fois. Et puis, passé la sidération, les rouages se remettent en branle, l’analyse est en route, qui décortique, qui isole les éléments qui, mis bout à bout, annonçaient bien un tel dénouement.


L’erreur, c’est de répondre à chaud. S’excuser d’avoir demandé, critiqué peut-être, d’avoir été inquiet. L’écran reste vide. L’être aimé ne répond plus, raccroche au bout d’une sonnerie. Il a posé sa petite bombe et il est parti sans se retourner pour constater les dégâts.


Le silence comme seule réponse, insupportable. Implicitement, il dit le mépris, la négation de l’autre ainsi réduit au néant. C’est pour l’autre, pour le renégat, le banni, l’impossibilité de dire, de se justifier, de se faire justice. Le silence bâillonne et enferme dans l’impossibilité de clore une histoire dont on ne voulait pas voir qu’elle était condamnée à peine née, et dont malgré tout on aurait aimé profiter encore un peu.


Se faire quitter par texto, c’est moderne, mais ça fait mal.

Posté le 05/09/2022 à 17:13

Désir

D’abord, il y a la phase d’observation. L’air de rien, au cours des premières conversations, faire son petit repérage. Face, profil, regarder le visage, la forme du nez, est-il court, épaté, fin ; les narines petites ou dilatées, la bouche aux lèvres fines ou pleines, les oreilles (menues est un plus) ; noter la présence ou non de poils dans le pavillon ou sur l’hélix. Chercher les détails rédhibitoires, les ongles longs et en deuil, les poils sur le dos des mains ou, parfois plus compliqué à voir, dans la nuque ; discrètement, profiter du prétexte de ramasser quelque chose par terre pour jeter un œil sur les pieds aussi, chaussés ou nus selon la saison. Regarder ce qui est visible, surtout quand c’est à peine, et se laisser emporter par son imaginaire dans l’échancrure d’une chemise qui révèle le haut d’un torse, se figurer le reste caché sous le tissu. Se retenir de s’approcher pour humer la peau, qu’on devine fine et douce, discrètement parfumée à l’ambre. Se retenir de toucher l’avant-bras posé sur la table, voir les muscles jouer, les doigts pianoter sur la nappe.

 

Aux premiers rendez-vous, quand on se sépare, il me serre dans ses bras, j'ai le temps d'appuyer ma tête contre son épaule, d’en apprécier sa fermeté et de me dire que nos tailles sont bien assorties. Je sens quelque chose de furtif dans mon cou, un baiser ou un souffle, avant qu'il ne recule, enfourche son vélo et s'éloigne tout aussitôt sans se retourner.

 

La première nuit, il dort sans bruit, respire à peine, au point qu'il me faut voir le pouls pulser à sa carotide pour m'assurer qu'il est bien vivant et que non, cet homme dont je ne connais pas encore le nom de famille n’est pas mort d'une crise cardiaque dans mon lit – ce qu'on peut s'imaginer comme scenario, parfois – et j’en profite pour le regarder encore dans la pénombre. La peau brune, les yeux clos sur le paisible, les oreilles délicates, la cicatrice sur son front, une autre sur le sourcil gauche, les pommettes saillantes, soulignées par la lisière de la barbe, les lèvres pleines ; je caresse doucement le rond de l’épaule, le flanc, la hanche, je me refrène, je vais finir par le réveiller et il n’est même pas six heures du matin.

 

Pendant quatre ans, j’ai vécu comme une nonne, dans une abstinence complète sans frustration ni souffrance, puisque mon désir avait sombré corps et biens dans les limbes d’une vie qui avait été mienne jadis mais que je considérais désormais comme celle d’une autre. Page tournée sur un passé que je ne voulais pas revivre, j’étais persuadée que je vieillirais seule, entre un chat cacochyme et l’entretien de mon jardin, le cœur vacant et le corps en jachère. Un soir inattendu de juin des yeux bruns se sont posés sur moi, des bras m’ont enlacée ; plus tard des mains ont parcouru ma peau et réveillé des myriades de terminaisons nerveuses dont je ne savais plus l’existence. En quelques jours tout a basculé, je suis passée d’un état à un autre et, redevenue une femme désirable et désirante, j'ai jeté aux orties mes revendications d'indépendance et de refus d'obéissance aux normes sociales que je dénonçais si fort. Acceptant, les yeux grands ouverts, d’entrer à nouveau dans la ronde de la séduction hétérosexuelle et convenue des premiers rendez-vous. Quitter le désert de l’abstinence pour entrer dans le vallon fertile du désir, ce basculement m’étonne encore, dans sa promptitude et dans la facilité avec laquelle il s'est opéré. Replonger si aisément, et avec bonheur, dans l'intimité de l'autre, dans ses odeurs, mêler les transpirations, coller les peaux, se laisser faire. Laisser une place dans mon lit.

 

Alors le désir. Qui me chauffe le ventre, qui habite mon esprit. Alchimie soudaine et inexplicable d’une peau contre la mienne, magie de mains chaudes qui m’effleurent et m’électrisent, attirance irrépressible pour un corps, un cou, une nuque, un ventre. Un homme à la fois si proche et si différent de moi, qui vient me bousculer dans mes habitudes, me faire sortir de la zone de confort dans laquelle je me suis complu comme on se love dans un vieux plaid élimé, qui me touche et me fait rire. Quelque chose me dépasse. Un soir il me fait écouter une chanson de Jonasz, il est question d’un cœur qui ouvre ses portes.

 

Après, il y a la vie sociale. Les terrasses où l’on se donne rendez-vous en fin d’après-midi. Un air de vacances anticipées, et l’envie de prolonger indéfiniment ce farniente.


Un après-midi où il fait une chaleur à tomber raide, 38° au thermomètre, je déplace un lourd fauteuil pour éviter le soleil et m’installer à ses côtés. Bière pour lui, spritz pour moi, il me caresse le bras, puis les jambes que j’ai allongées sur ses cuisses ; il y a, comme il me l’écrira lui-même en soirée, ces conversations multiples – celle des esprits, celle des regards, celle des mains, celle des corps, une connivence et un bien être évidents à être là tous deux, dans un mélange d’intimité qui s’expose et de retenue ; ce désir qu’on a plaisir à sentir monter et à contraindre, encore un peu, parce que c’est bon de le retenir, entre les portes entrouvertes.

Posté le 29/07/2022 à 16:06

Origine

"Et sinon toi, d'où tu viens ?". Sourire un peu gêné, ou pas de sourire du tout. La phrase agace, visiblement. L'intention est bonne pourtant : celle de mettre un nom, une géographie, sur ce visage à la peau brune, sur ces yeux noirs aux paupières bistre, sur cette chevelure de jais. Dans la question, il y a le rêve de contrées exotiques, l'étrangeté de pays lointains, de désert ou de luxuriance, de moussons ou de midi impitoyable ; il y a aussi la curiosité pour cet ailleurs que l'on voit, alors qu'il n'y a pas d'accent pour expliquer ce que les yeux nous disent ; un peu d'envie peut-être aussi pour celui-là qui porte quelque chose que l'on n'a pas.


A questionner ainsi quelques-uns, B., au père indien et à la mère vietnamienne, L. à la peau d'ébène née à Besançon, M. aux parents kosovars qui depuis peu enjolive quelques-unes de mes nuits, j'ai été surprise de découvrir ce que ma question, qui me semblait toute naturelle, pouvait avoir de désobligeant. A chacun sa façon de répondre : B. dit clairement son irritation, dans un discours mesuré mais où l'on sent tout l'agacement qu'elle contient : L. rit aux éclats et enchaîne sur les petites remarques perfides dont elle a souvent été le sujet au sein des établissements scolaires où elle a travaillé. M. quant à lui préfère jouer aux devinettes avec son interlocuteur et le laisser se fourvoyer quelque part entre l'Inde et la Turquie, l'Arménie, l'Afghanistan ou la Syrie, se contentant de dire qu'il vient d'un pays qui n'existe plus. A chaque fois, j'ai cru bien faire ; à chaque fois, j'ai pêché par excès. Il m'a fallu du temps pour comprendre ce que cette question naïve et à mes yeux parfaitement naturelle, témoin d'un intérêt pour l'autre et, peut-être, perche tendue vers un début de complicité ou une histoire de vie que j'étais avide d'entendre, avait de désobligeant. Moi qui, avec mes yeux bleus, ma peau claire et mon nom si français, n'ai jamais eu affaire à une quelconque suspicion quant à mes origines ni à me justifier de ma nationalité ; moi qui n'ai jamais senti d'étrangeté dans le regard de l'autre ni suscité de curiosité particulière sur mon apparence, à part dans les pays arabes où mon d'air d'européenne a pu parfois attirer des regards concupiscents, j'ai été soudain mise face à la maladresse dans tout ce qu'elle peut avoir de blessant : le renvoi, pour mon interlocuteur, à sa différence. A la lassitude d'avoir à expliquer, à justifier peut-être, pourquoi, comment.


J'ai essayé pourtant d'expliquer pourquoi on pose cette question. Face à la contrariété qui perdure, j'écoute, j'acquiesce, fais preuve d'empathie, mais je reste un peu vexée tout de même que l'on m'ait supposé un vague relent identitaire qui me paraît si éloigné de mon mode de pensée. La différence reste prégnante, parce que je n'ai jamais eu à subir cette sempiternelle question sur mes origines, tandis que mon regret perdure malgré tout de n'avoir pas un peu l'air venue d'ailleurs, moi aussi.

Posté le 03/07/2022 à 19:00

Doesn't really matter to me

Il fait beau en cette mi-mars. La terrasse est déjà bien ensoleillée en fin de matinée, au point que l'on va sortir des chaises pour terminer là le cours de guitare du lundi. Trois chaises, nous sommes rejoints par la maman de mon prof qui patientait dans la voiture sans oser monter. Une dame d'une soixantaine d'années, à la voix de fumeuse, avenante, qui me tutoie d'emblée et s'installe avec sa tasse de café. On joue l'intro et le premier couplet de Bohemian Rapsody, E. fait la contre voix, elle est ravie, elle fredonne, elle adore cette chanson. E. me reprend : justesse et précision des accords, placement des doigts, rythme. On recommence, si bémol, sol mineur, do mineur, do mineur 7, fa dièse, arpège, notre spectatrice s'écrie, en demande davantage. Son fils la reprend : "Je suis en cours, Maman !". Je ris, c'est le printemps.

Posté le 14/03/2022 à 17:59

La bière

Work in progress : première version d'une nouvelle à venir.       


Il fait chaud, l'assemblée transpire avec dignité, rassemblée autour de la tombe béante. Le maire vient d'arriver avec un aréopage réduit, le premier adjoint et la secrétaire de mairie. Il échange gravement des poignées de main à gauche et à droite, à croire qu'il a entamé sa campagne. Je parie que tout à l'heure, il ira serrer la louche à toute la famille et murmurer quelques platitudes bien choisies. En attendant, on se serre un peu pour lui faire de la place. A sa gauche, légèrement en retrait pour ne pas paraître trop ostentatoire, le directeur de l'hôtel spa. Lui, je ne pensais pas qu'il viendrait, depuis le temps que le mort et lui se sont brouillés lors de la vente du terrain sur lequel l'hôtelier a bâti son empire. Une obscure histoire de viabilisation je crois. N'empêche, il est là, tout confit de recueillement.


De l'autre côté, comme séparée des simples connaissances par la tombe, la famille. Au premier rang de laquelle la petite Anna -  elle a aujourd'hui dépassé la quarantaine, mais elle reste pour moi la petite que j'ai eue en classe jusqu'à son entrée en sixième, ainsi que son frère d'ailleurs. La pauvre, elle a l'air très affectée, elle est soutenue par son compagnon, le musicien. A sa gauche, là où elle a sa canne, il y a un vide que personne ne semble vouloir combler, puis le reste de la famille, la tante Cécile, qui me fait un petit signe de la main, l'oncle Michel, et derrière, les cousins, j'en compte cinq, dont deux à qui j'ai appris à lire, mais le compte n'y est pas, il en manque encore au moins deux autres.


"Seigneur, puisque tu as voulu rappeler à toi ton serviteur Pierre Feld, accepte la prière que du fond de notre cœur nous lançons vers toi pour lui conserver la vie radieuse et l’élever encore…". La voix de basse du père Ngongolo porte à travers tout le cimetière. L'assemblée se signe comme un seul homme. "Puisse sa vie avoir été tendue toute entière vers le Bien et l’Amour de son prochain, vers les siens qu’il a tendrement chéris et vers tous ceux qui, dans la souffrance, appelaient au secours." Pas sûr que feu Pierre Feld ait fait preuve d'autant de philanthropie, me dis-je en me rappelant la froideur avec laquelle il m'avait accueillie dans son cabinet lors du décès de mon mari. Je vois soudain Anna tressaillir. Je tourne la tête en direction de ce qu'elle a vu. Un homme se tient là, derrière la haie. La casquette posée bas sur son front dissimule son visage mais il me paraît familier. Anna et lui ne se quittent pas des yeux, puis l'inconnu fait volte-face et disparait sans qu'apparemment personne d'autre que nous deux ne l'ait vu. Anna me regarde, et soudain je comprends qui il est. Ben. Son petit frère. "Souviens-toi que tu es né poussière et que tu reviendras poussière" dit le curé en jetant dans la fosse une poignée de terre avant de se signer et d'inviter d'un geste la famille à faire de même.


La file de condoléances s'allonge sous le soleil. Je patiente avant d'aller embrasser Anna, qui me chuchote : "Inge, vous l'avez-vu ?". Sa question confirme mon intuition, mais je me contente de hocher la tête et de la serrer bien fort avant de laisser la place au suivant.  


Je sors du cimetière pour regagner le centre du village. Je n'ai pas envie de participer à la collation dans les salons d'honneur de la mairie. Je n'ai pas envie d'entendre les anecdotes que chacun croira bon de raconter, ni de voir Anna chercher dans l'assemblée un homme à casquette. Je ne veux parler à personne. Le retour de Ben, après plus de vingt d'absence, me trouble étrangement. J'ose croire que le temps passant, il a pu pardonner à son père, mais pourquoi alors se cacher ? Sur le chemin qui me mène à ma petite maison où je cultive mon veuvage, je suis submergée par les souvenirs de tous ces morts que j'ai vu mettre en terre, dont la disparition m'a parfois laissée indifférente, parfois bouleversée. J'avais vingt ans quand mon propre père est mort, Ben presque le même âge quand il a perdu sa mère ; pour chacun de nous la vie ensuite n'a jamais été la même. Je songe avec une tristesse que je n'avais pas ressentie depuis longtemps à l'existence qui aurait été la mienne si Papa avait encore été là. Je ne serais sans doute pas devenue institutrice, et j'aurais peut-être continué à danser. Dans ce peut-être, cette possibilité que j'ai lâchée, se tiennent les regrets de toute ma vie.


Je crois que je n'irai plus aux enterrements. D'ailleurs, si je pouvais, je n'irais pas au mien.  

Posté le 03/11/2021 à 19:03

Pas de bol

Je ne suis pas très large, mais assez grand. Les bords droits, légèrement évasés vers le haut. Capacité maximale 25 centilitres, ce qui, me direz-vous, est déjà conséquent pour un mug. On m'a choisi il y a cinq ans, et je dois mon arrivée dans la maison au dessin que je porte sur le flanc, un rossignol peint en noir et rouge avec mon nom écossais, spideag, marqué en dessous. Le surnom de Ben, le maître de maison.

 

Chaque matin, Ben me sort du placard où je suis rangé avec les innombrables bols, tasses et mugs de la famille. Il me jette un sachet de thé noir, puis verse de l'eau chaude. Il me remplit toujours un peu trop, à la limite de mes bords. Parfois, quand il me saisit un peu brusquement, je déborde. Il se brûle, jure, éponge les dégâts avec un torchon. Puis il retire le sachet qu'à chaque fois il a laissé trop longtemps infuser. Le thé est devenu amer, il ajoute un, parfois deux morceaux de sucre, remue, goûte, grimace. Évidemment, c'est chaud. Ben n'est pas patient. Il me pose sur la table qui sépare la cuisine du salon, sur un magazine ou sur un livre, histoire d'éviter les taches. En attendant que je refroidisse, il consulte son téléphone, sa messagerie, rappelle quand on lui a laissé un message. En général il reste debout, face à la baie vitrée qui surplombe l'horizon, les champs où paissent les chevaux de Marsaili et un peu loin, la falaise et les moutons sur la mer. Parfois il ne fait rien, il se contente de regarder dehors. J'aime bien ces moments-là, quand il m'a repris et me tient dans ses deux mains, sirotant le thé à gorgées pensives. D'autres fois il est si occupé qu'il m'oublie sur la table, et revient vers moi quand la boisson est devenue tiède et imbuvable. Alors il jette mon contenu sans l'avoir bu, me rince et me pose à l'envers sur l'égouttoir avant de quitter la pièce.

 

C'est Marsaili qui me rangera quand je serai sec, jusqu'au lendemain, parce que personne, sauf Ben, n'a le droit de m'utiliser.

Posté le 11/10/2021 à 16:25

Centenaire

Je suis née en 1912. Mon père était un architecte allemand et je n'ai jamais connu ma mère. J'ai grandi dans ce quartier périphérique de l'ouest de Strasbourg et vu s'ériger autour de moi, au cours des décennies suivantes, des maisons individuelles avec jardin en façade et sur l'arrière puis, les besoins de logement augmentant, de petits immeubles de trois étages. Je ne suis jamais partie, je ne l'ai jamais regretté. La rue est calme, peu fréquentée ; ce n'est pas un lieu de passage pour les voitures ou un raccourci, personne n'y vient s'il n'a rien à y faire. Les chats s'y promènent nonchalamment et les enfants y jouent au ballon, chacun salue son voisin.

 

Je suis née en 1912 et j'ai vécu deux guerres. J'ai vu des hommes revenir du front avec des morceaux en moins, j'ai vu les jupes des femmes se raccourcir et leurs chignons disparaître ; j'ai vu des maisons bombardées s'écrouler sur la grande avenue voisine tandis qu'ici, tout restait intact. La gare aux marchandises, au bout de la rue, a fermé dans les années 50. Aujourd'hui passent d'interminables trains de containers ou de voitures neuves, dont les vibrations font trembler les murs. Parfois, rarement, un TER dont les passagers regardent d'un œil vide les jardinets qui donnent sur la voie ferrée.

 

Je suis née en 1912 et j'ai vu des arbres grandir, se faire élaguer ou couper parce qu'ils faisaient de l'ombre, des fleurs pousser puis faner et se faire remplacer par d'autres. Le beau bouleau qui ombrageait la terrasse, dévoré par un champignon, a été abattu. Le maître de maison est mort il y a quelques années, laissant le rez-de-chaussée inoccupé. Le poêle qui chauffait le logement a été remplacé. Le chat est mort d'une chute dans l'escalier.

 

Je suis née en 1912 et je suis la plus vieille maison du quartier.

Posté le 26/09/2021 à 10:50

Le Chat

Cécile le savait. Il y a quelques semaines, elle l'avait regardé descendre l'escalier raide qui mène aux combles – celui qu'elle s'est promis de changer dès qu'elle aura acheté l'appartement – aux marches découpées à la japonaise, et le voyant ainsi passer d'une marche à l'autre, par à coups précautionneux, presque vertical, elle s'était dit qu'un beau jour il finirait par basculer cul par-dessus tête.

Baptiste l'a trouvé ce matin, à son réveil, gisant au bas de l'escalier, raide déjà. Tenant à moitié debout, la tête retenue par la partie basse de la rampe. La nuque brisée par sa chute.


Le train de Cécile venait à peine de quitter la gare d'Aix-en-Provence TGV lorsque son fils lui a  appris la nouvelle. Dix appels manqués, elle s'attendait à quelque chose de grave, et quand elle l'a entendu dire "Je ne sais pas comment te dire…", elle a pensé stupidement qu'il avait pris sa voiture et l'avait accidentée, mais c'était autre chose, des mots dont elle peine à se souvenir, le Chat, nuque, escalier, tout raide. Sur le moment, elle a interrogé Baptiste, avec ce détachement qu'on a quand on n'a pas encore réalisé, quand, comment, comprenant de travers, déjà mort, de la pisse par terre, mis dans la panière à linge, emballé dans des serviettes. Et puis elle a été incapable de poursuivre, a raccroché pour se mettre à sangloter derrière son masque, dans l'indifférence générale des passagers. S'est enfuie aux toilettes pour laisser libre cours à son chagrin, à la peine et au regret de n'avoir pas pu le revoir, de l'entendre encore ronronner comme un diesel ou sentir son poids sur ses pieds quand il venait dormir avec elle, pendant la saison froide surtout – l'été, il préférait dormir dans le jardin et ne rentrait que pour prendre le frais ou pour manger. En elle, se mélangeaient la l'incrédulité et la révolte, la douleur et la pensée rationnelle – mieux valait qu'il soit parti ainsi, plutôt que d'affronter les longues maladies à venir et la décision d'abréger ses souffrances. 

 

Une part d'elle refusait d'admettre son absence définitive et s'imaginait le retrouver à son retour, l'entendre la saluer d'un miaulement sonore avant de s'en aller vaquer à ses propres occupations, d'un pas de sénateur et la tête altière, dans une souveraine indifférence envers le devenir des humains. Elle s'est rappelé le temps passé à l'observer, qu'il dorme, fasse sa toilette ou s'assoie face à elle sur la table basse du salon, la gratifiant d'un clignement de ses yeux verts avant de reprendre sa pose hiératique de sphinx. Elle savait déjà combien ce temps-là allait lui manquer, celui passé à le caresser, à enfouir ses doigts dans sa fourrure douce et fournie de chat sibérien, à s'apaiser au bruit de son ronronnement si particulier, qui ne cessait d'étonner ses visiteurs. Elle s'est demandé ce qu'elle allait faire de ce temps vide. L'automne serait être encore plus froid et triste sans ce compagnon qui partageait ses nuits.


Incapable de rester en place, elle s'est installée sur la plateforme près des bagages où elle est restée pendant les six heures de trajet, à observer les allées et venues des passagers et des contrôleurs, à engager avec les uns et les autres de courtes conversations. De quoi se distraire, un peu. Le trajet était long, entrecoupé de divers incidents – deux passagers sans billets et récalcitrants, un autre pris de folie qui a agressé des voyageurs, dont une femme qu'il a mordue à la cuisse avant d'être arrêté par la police venue en renfort à la gare de Dijon – elle a songé à Baptiste qui avait enveloppé le corps mort et raide et froid, si horriblement immobile, et l'avait déposé dans la panière à linge pour le descendre à la cave en attendant son arrivée. Son fils courageux qui a sangloté quand elle l'a rappelé, racontant combien le Chat avait apprécié le poulet à l'indienne que son amie et lui lui avaient fait goûter la veille.


Ils ne savaient rien du Chat, ne connaissaient ni son vrai nom, ni son âge. Cécile présumait qu'il devait avoir une vingtaine d'années puisqu'à l'époque où elle avait commencé à fréquenter la maison qui allait devenir la sienne, son compagnon affirmait qu'il avait 15 ans. Ce qui lui semblait beaucoup, alors qu'il chassait, des oiseaux surtout dont elle retrouvait les plumes dans le jardin, qu'il dormait dans la fourche d'un des lauriers et grimpait en haut du bouleau pour qu'on vienne le chercher. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de tout cela – son compagnon est mort, le bouleau a été abattu.


Elle l'a vu doucement décliner, marcher de moins en moins vite, boiter parfois. Mais il parvenait encore à grimper dans le laurier près de la porte d'entrée, à marcher dans la gouttière pour rejoindre la terrasse où il pouvait passer des heures, allongé au soleil, ou enroulé sur une chaise de jardin, ou pour gratter à la fenêtre afin qu'on lui ouvre. Elle croit entendre le crissement de ses griffes sur la vitre ; elle croit l'entendre miauler et ne peut s'empêcher d'aller jeter un œil, espère deviner sa silhouette attendant patiemment qu'on lui ouvre. Elle s'attend à tout moment à le voir laper l'eau croupie des soucoupes de pots de fleurs ou les gouttes de pluie restées sur la table. Mais la terrasse est vide.

          

Elle aurait voulu être là, recueillir son pauvre corps et le coucher dans des linges pour qu'il soit bien, lui caresser la tête et le rassurer ; elle aurait aimé être avec son fils et lui éviter de faire ce qui n'était pas de sa responsabilité, et lui épargner cette première confrontation avec la mort. Quand elle partie pour l'Italie, elle n'a pas pris le temps de le chercher pour lui faire une dernière caresse. Une pensée lui vient, de se dire qu'il est mort sans l'avoir revue, et que peut-être il a pu penser que qu'elle l'avait abandonné. Mon vieux lion fatigué, se répète-t-elle. Mon chat. Le Chat.


Son fils l'attendait sur le quai. Il l'a longuement serrée dans ses bras, ils ont pleuré tous les deux. Pleuré encore lorsqu'ils sont allés à la cave et qu'ils ont une dernière fois mêlé leurs doigts à sa fourrure – s'il n'y avait sa position, les pattes tendues et raides, et sa tête rejetée en arrière, la bouche à demi ouverte, et son immobilité, sa raideur, on aurait presque pu s'attendre à l'entendre ronronner. Elle lui a parlé, lui a dit au revoir, ils l'ont emballé comme ils pouvaient dans les serviettes, et Baptiste l'a porté ainsi, dans la panière, avec le bout de ses pattes et sa fourrure qui dépassaient, jusqu'à la clinique vétérinaire voisine. Le vétérinaire est parti l'examiner, ils se sont étreints longuement sous le regard désolé des maîtres de chiens et de chats qui patientaient. Le Chat était pucé, il s'appelait Chapka et était né en mars 2005. Il avait donc 16 ans et demi ou presque, un âge honorable pour un chat de race dont Cécile n'avait jamais compris comment on avait pu l'abandonner.


Ils sont repartis avec la panière à linge vide, se tenant fort l'un contre l'autre, et ont passé beaucoup de temps à énumérer les souvenirs, riant et pleurant tout à la fois. Cinq ans de partage, d'agacement et de tendresse.


Cécile passe devant ce coin de la cuisine où il se ruait pour manger, se rappelle son habitude à venir se frotter contre la porte du placard quand elle en sortait sa nourriture, comment l'ouverture d'un yaourt le faisait accourir à toute vitesse, le nombre de paquets de brioches éventrées par sa gourmandise, ses roucoulements en pleine nuit pour sortir, son art de se faire une place sur le canapé, bien au milieu, petit tyran domestique qui lui manque affreusement et qu'elle continue de pleurer.


Dans trois semaines, ils enterreront ses cendres dans le coin du jardin où il se plaisait à s'installer, aux beaux jours. Elle plantera un rosier. Et peut-être, ensuite, prendront-ils un autre chat. Et même deux.

Posté le 26/09/2021 à 10:30

La mort des héros

Ca y est, ils sont mariés. Jouez hautbois, résonnez musettes, après bien des déconvenues, péripéties, hésitations, fausses ruptures et vraies retrouvailles, rival retors et lutte des classes, le couple est enfin prêt à incarner l'adage "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Mais. Un tracteur croisé sur un chemin de campagne et voilà le jeune marié écrabouillé tout sanglant au sol. Une guerre et une balle de trop et l'avenir du jeune homme prometteur est compromis. Une maladie aussi soudaine que fulgurante et incurable emporte la jeune épousée vers des joies moins terrestres. Et le spectateur, qui a vécu trois saisons de dix épisodes chacune, tremblé, espéré, jalousé, pleuré, ri avec le candidat à la vie éternelle, d'être incrédule, furieux, déçu, et de crier au scandale. Non, pas lui ! Noooon, pas elle ! Ce n'est pas possible ! Et si. Jack Thornton n'a passé que sa nuit de noces avec sa jeune institutrice d'épouse qu'il meurt sur le champ de bataille ; Matthew Crawley tout à sa joie d'être papa ne voit pas le tracteur fatal qui le fait quitter la route ; sa belle-sœur Sybil meurt en couches, laissant son chauffeur de mari communiste et Irlandais se débattre tout seul contre les préjugés de classe. Une courte recherche apprendra au téléspectateur frustré que les acteurs ayant d'autres projets, les scénaristes n'ont eu d'autre choix que de faire mourir leurs personnages. Et débrouille-toi ensuite pour écrire la suite de l'histoire – on se croirait dans Saga, de Tonino Benaquista.


Depuis, chaque fois qu'autour de moi quelqu'un a la mauvaise idée de passer l'arme à gauche, je me demande ce qu'il avait de mieux à faire et ce que le mystérieux scénariste à l'œuvre en coulisses va bien pouvoir inventer ensuite.

Posté le 22/09/2021 à 17:37

Bredouille

Ils sont sept autour de la table, réunis pour un pot de fin de vendredi soir pour des retrouvailles de rentrée puisqu'ils ne se sont pas vus de tout l'été. Elle a fui le gentil et serviable Martin, qui s'est mis en bout de table, et échange avec Théo. La quarantaine et la barbe ombrageuses, plutôt bien fait de sa personne. Ils parlent musique, écriture, loisirs. Il dit qu'il traverse une période où il a besoin de ne rien faire. Cela lui parle, à elle, ne rien faire elle aime bien, et rêvasser à tout ce que qu'elle pourrait faire si elle s'y mettait. La procrastination élevée comme vertu. Voilà un point commun se dit-elle, sautons sur l'occasion et continuons à le faire parler. Il s'épanche, raconte ses difficultés financières, le montant de son loyer, ses charges à payer, sa voiture qui vieillit. Non qu'il se plaigne, mais dans son discours transparaît un certain mal être, peut-être de la solitude mal vécue ou une récente rupture, cela il ne le dit pas, ils ne sont pas assez intimes. Elle retrouve alors la même sensation qu'il y a quelques mois, avec un autre homme qui s'épanchait de même, tandis qu'elle s'appliquait à faire preuve d'intérêt, de gentillesse et d'écoute, sans que cela ne provoque quoi que ce soit chez son interlocuteur qui semblait trouver cela bien normal, juste un peu de gratitude à la fin, au moment des au revoir. L'impression de s'échiner à ramer dans une mer agitée et d'aller contre le vent. Tout le contraire de l'effet recherché : un peu d'intérêt en retour pour sa petite personne, de la part de ces hommes qui ne saisissent ni même n'aperçoivent la perche qu'elle leur tend, piètre tentative de nouer autre chose que ces conversations à sens unique. Elle se demande pourquoi elle s'obstine à essayer de flirter avec ces hommes un peu paumés, un peu mélancoliques, un peu trop obsédés par leurs problèmes personnels pour s'intéresser à l'autre, au seul prétexte qu'ils ne sont pas vilains à regarder. De toute façon, Théo s'est déplacé pour aller discuter avec quelqu'un d'autre. Martin lui propose des frites.

Posté le 22/09/2021 à 17:35

Contraintes

Dans les ateliers d'écriture, on nous propose souvent des exercices basés sur diverses contraintes : insérer dans son texte les mots d'une liste établie au préalable, faire un portrait en s'interdisant tout commentaire, écrire la suite du texte rédigé par quelqu'un d'autre, inventer un personnage à partir d'éléments piochés dans des quatrièmes de couverte, etc.
Ici, l'exercice concernait les incipit. A charge pour nous de rédiger une scène d'exposition qui allait comprendre la présentation du lieu de l'action (3 à 5 lignes), un dialogue entre deux personnages (5 à 7 répliques) et enfin une transition narrative vers une suite envisageable (7 à 10 lignes).

Les deux hommes marchent en silence. Les étoiles criblent le ciel, la lune est descendante mais la nuit claire, sauf quand ils traversent des bosquets de sapins qui entretiennent la pénombre. Pas un bruit, le hululement d’une chouette et, çà et là, le chant d’un grillon qui perce la nuit. Ils ont décidé d’un commun accord de rentrer à pied, ça leur ferait du bien de marcher un peu, de s’aérer la tête de la musique et du brouhaha du bal. Max change de bras pour recaler son violon sous l’aisselle. Michel, qui marche les mains dans les poches en sifflotant, fait un geste vers lui.

« C’est bon, dit Max.

- Tu sais, dit Michel, c’était bien ce soir, malgré les Boches et tout ça. Mais j’ai envie d’autre chose… Envie de partir. Un jour, je partirai, je te le jure. Quand tout sera fini.

- Tu veux aller où ?

- Je vais monter à Paris. Là-bas, je me débrouillerai.

- Mais tu vas faire quoi, à Paris ?

- Il parait qu’on peut trouver à faire, si on n’est pas trop manchot. Et je chanterai, Max, je ferai de la musique, autre chose que pousser la chansonnette dans les bals. »

Max soupire. Il ne sait pas s’il a peur pour son copain ou s’il l’envie d’avoir ce courage-là, de tout quitter pour partir vers un ailleurs qu’il est incapable de se représenter, en dehors des quelques images qu’il a pu en voir sur le calendrier des postes, les larges avenues bordées de platanes, ces grands immeubles en pierre, des gens bien mis et la Tour Eiffel. Peut-être lui en veut-il aussi de songer à partir. A l’abandonner, en somme. Comme s’il oubliait tout ce qu’ils ont partagé, les gitanes fumées près du cimetière, les baignades dans la rivière et les bals musette. Mais ces peurs-là, il ne peut les dire, et sa lente expiration lui semble tout résumer.

Le silence à nouveau, et le grillon qui s’est remis à chanter. Puis Michel hasarde :

« Dis-moi Max, c’était qui, la fille avec qui tu dansais ? »

Posté le 25/07/2021 à 11:55

Monologue intérieur



A partir du tableau de Hopper, New York Movie, écrire le monologue intérieur du personnage féminin en tenant compte de l'atmosphère du lieu. Chercher à transmettre les pensées, les émotions.

Il m’a dit tu verras, ça va te plaire. Je l’ai déjà vu deux fois, ce film, et j’ai pensé à toi. Cette héroïne exaltée, entière, et un peu sauvage, elle te ressemble beaucoup. Exaltée, sauvage, tu parles. On ne voit décidément que ce qu’on veut bien voir. Est-ce qu’il s’est déjà posé la question du pourquoi ? Pourquoi je répugnais à le suivre dans toutes ces soirées, ces cocktails mondains, ces vernissages ? Si je ne m’ennuyais pas à sourire, à faire la potiche, quand il me laissait en plan pour aller rencontrer d’autres gros bonnets et qu’il me laissait toute seule à siroter un champagne tiède ou suivre une conversation languissante avec une autre femme de ? J’ai mal aux pieds, je n’aurais pas dû porter ces chaussures toutes neuves dont les talons s’enfoncent dans la moquette trop souple. Mais je n’ai pas envie de me rassoir à côté de lui, de toute façon je n’aime pas ce film, l’actrice n’a de sauvage que la crinière ébouriffée par le vent du désert. Je n’ai surtout pas envie de reprendre cette comédie du tout va bien, de faire semblant de ne pas voir le regard complice qu’il a échangé à notre arrivée avec cette femme assise à la première galerie, une brune à la peau de velours et au sourire éclatant, le genre de femme qui n’a jamais mal aux pieds, elle. Je suis sûre de l’avoir déjà vue, j’essaie de me souvenir. Il doit se demander ce que je fais, ou alors peut-être pas, et je me dis que ça l’arrange bien, que je me sois levée. Ca y est, je me rappelle. Monsieur et Madame Saint Guérard, au gala du préfet. Sa main qui a remonté l’étole sur son épaule dénudée et s’y est attardée. Une seconde, pas plus. Il n’a pas vu que j’avais vu. J’ai envie de m’en aller, mais je n’ose pas.

Posté le 25/07/2021 à 11:50

Chez le dentiste 2

"On va refaire une petite anesthésie, ce sera plus confortable pour vous." Et le praticien de m'énumérer tout ce qu'il va me faire subir, casser les dents provisoires, mettre un fil de rétraction, faire des moulages, remettre de nouvelles provisoires, je n'écoute pas trop, après une journée de travail j'aurais préféré m'allonger sur mon canapé avec un bon livre plutôt que sur le fauteuil du cabinet.

       

L'anesthésie est moindre que la première fois, mais plus douloureuse : il a dû piquer dans un nerf car ça fait vraiment mal. Et le produit qui goutte sur ma langue a un goût amer désagréable. L'étape de casse est plus rapide que la première fois, et s'ensuit assez vite par un limage des gencives, qui va réclamer une deuxième dose d'anesthésique. Pour mieux travailler, l'homme de l'art réclame un écarte-lèvres. Entre cette corolle en plastique blanc autour de la bouche et le sourire de junkie, l'image est suffisamment traumatisante pour que j'évite, pendant le reste de la séance, à entre apercevoir mon reflet dans la visière du médecin.

       

Une fois bien à l'aise pour officier, il peut insérer dans les racines les tiges de métal destinées à faire tenir les futures couronnes – je tâche de ne pas regarder la longueur de ces morceaux de métal -, avant de poser son fil de rétraction, c'est-à-dire qu'il coince un fil entre ce qui reste des dents – baptisés poétiquement des moignons, c'est tout dire – et la gencive. J'endure sans bouger la douleur du crochet qui vient chatouiller le palais qui n'a pas été anesthésié. Je connais les mêmes mésaventures que la fois précédente lors des rinçages, en profite pour me détendre un peu les mâchoires. Puis c'est le moment de refaire des empreintes – je me demande bien à quoi ont servi celles de la séance précédente – avec des moules qu'on m'insère dans la bouche. En attendant que la pâte durcisse, le praticien pose sa main sur mon épaule, assez lourdement, je ne sais si c'est pour se reposer ou m'apaiser mais j'aime bien. Il tire ensuite sur les empreintes qui se retirent avec un bruit de succion écœurant. Ensuite, il faut retirer les fils, repasser la fraise sur les moignons et les gencives, avant de nettoyer et sécher le tout en passant longuement un jet d'air froid particulièrement désagréable.


Avant-dernière étape, le choix de la teinte de la céramique des futures couronnes. Le dentiste me conseille de ne pas choisir une teinte trop claire qui ferait artificiel. Il me donne à choisir entre trois nuances, plus ou moins blanchâtres, me tend un miroir pour comparer les trois petites couronnes empalées sur des tiges, qu'il place à côté des dents du bas. Je ne vois franchement pas la différence, et lui demande de choisir pour moi. Il opine derrière son masque et sa visière, avant de procéder au moulage des dents provisoires qui se révèlent aussi réussies que les précédentes. Ne reste plus qu'à m'extirper du fauteuil épuisée par une séance de deux heures assez désagréable et douloureuse malgré la gentillesse du dentiste. C'est l'heure de remettre le masque et de rentrer.

Posté le 26/05/2021 à 17:49

Chez le dentiste

"Vos prothèses ont quel âge ? Ah, 25 ans ! Alors il est temps de les remplacer. Vous verrez, maintenant la sécu rembourse très bien !". J'ai dit oui aux travaux dentaires.


Au cours de cette première étape, il doit s'agir de défaire l'existant, c’est-à-dire de tout bonnement me casser les dents de devant (douze au total), pour faire ensuite des prises d'empreintes qui serviront au prothésiste, avant de me fixer des dents provisoires – ce qui ne sera pas inutile, la suite le démontrera.

Avant toute chose, on m'anesthésie la quasi-totalité de la mâchoire supérieure : bien que la douzaine de dents à remplacer soit dévitalisée, on va mordre sur les gencives. Au vu de ce que me fera subir ensuite l'homme de l'art, je me réjouis de ne rien sentir. On passe donc aux choses sérieuses : armé d'une fraise dont il va bientôt augmenter la taille, le praticien entreprend d'attaquer la couche de céramique sur les couronnes. Je parviens à m'apercevoir dans la visière de son casque de protection : j'arbore désormais un sourire aux dents fendues en deux par une ligne noire. Ça pourrait presque être esthétique. Je me demande si je ne vais pas finir avec les dents taillées en pointe, comme les Pygmées.

Mais la fraise ne suffit pas, il faut dégonder les couronnes et le bridge : pour ce faire, il existe un instrument qui permet de taper sur les dents, une sorte de petit marteau dont les percussions résonnent assez désagréablement dans mon crâne – j'ose à peine imaginer ce que j'endurerais sans anesthésie. Mais les prothèses sont rétives, et probablement très bien collées, elles refusent de se détacher. L'homme de l'art soupire, la tâche va s'avérer plus ardue que prévu, se saisit de divers instruments que malgré leur taille minuscule, le patient rivé à son fauteuil hésite à cataloguer dans la famille des outils ou des instruments de torture. Bénie soit l'anesthésie, me dis-je encore. Il fraise donc, rabote, lime, tape, tire, dérape parfois – ce n'est pas grave, je ne sens rien parviens-je à le rassurer bouche à demi-entrouverte, quand il s'excuse -, se reprend, passe de l'air, déplace l'aspirateur à salive, soupire encore, je crois même entendre un discret "Puta !' – mon dentiste est roumain – mais il fait en tout cas preuve d'une patience qui force mon respect.

Comme je trouve le temps un peu long je tâche de me concentrer sur les bruits – le glouglou de l'aspirateur à salive, le sifflement de la fraise, les coups de burin dans mon crâne – et me trouve plutôt bien, la tête pressée contre le ventre du dentiste, c'est enveloppant et pour un peu j'aurais l'impression qu'on me fait un câlin. De temps en temps le propriétaire du ventre accueillant fait une pause, m'invite à me rincer la bouche pour me débarrasser des débris. Je suis prise d'un accès de panique car mes mâchoires sont bloquées par la tension et je dois m'aider des deux mains pour parvenir à fermer la bouche (ça craque) ; incapable de joindre les lèvres à cause de l'anesthésie, je m'arrose copieusement d'Eludril et n'ai d'autre choix que de me pincer la bouche avec l'impression de tenir un bec de canard.

Bon gré mal gré, le dentiste parvient au bout de sa tâche. J'ai le temps de m'apercevoir dans sa visière, et suis horrifiée par la vision d'une gencive de junkie pleine de chicots noirâtres et de trous, avant qu'on me fourre dans la bouche une pâte au goût de banane. On en est donc à la prise d'empreintes. Je regarde discrètement ma montre : me casser les dents a pris plus d'une heure et demie. Trente minutes et deux autres pâtes au goût indéfinissable plus tard, nouveau coup d'œil dans la visière : le sourire édenté a disparu, pour laisser place à de belles dents blanches bien rangées. Me voilà parée d'attributs provisoires qui me paraissent tout à fait réussis, si j'en crois le sourire de travers que je me fais dans le rétroviseur. Rendez-vous dans quinze jours.

Posté le 11/05/2021 à 16:47

Les gens heureux ne font pas d'histoire

Il y a des histoires terribles. Des histoires de couple bancal, adultère, et de déni de grossesse. D'usine qui ferme et d'ouvriers intérimaires qui se tuent à moto. De filles violées qui se vengent en bande. De secret de famille et de geôles argentines. Des premiers ou seconds romans récemment publiés, estampillés Littérature française avec la majuscule idoine, souvent bien écrits, et bien accueillis par un public exigeant. Des romans choisis avec soin par l'équipe des "68 premières fois" dont je fais partie, un groupe de lecteurs passionnés qui s'échange livres par la poste et avis via les réseaux sociaux. Ma toute récente mise à l'isolement pour cause de cas contact durant une semaine m'a amenée à me plonger dans ces récits que j'ai lus avec plaisir et parfois admiration, mais que j'ai terminés avec une sorte de lassitude. Parce qu'il s'agit là de récits dramatiques, qui finissent mal, à se demander si la lumière, l'espoir et l'optimisme n'ont pas disparu de ces mondes dont on ressort un peu lessivé.

 

Le printemps arrive, il est là aujourd'hui d'ailleurs, et en ces temps troublés on n'a plus que jamais besoin de lumière, de tiédeur et d'espoir. Les oiseaux chantent tôt le matin, le pommier du Japon fleuri rouge au fond du jardin, les perce-neige ont fané pour laisser place aux jonquilles et bientôt aux tulipes, la nature vibre d'un renouveau qui fait fi du couvre-feu, et voilà qu'on continue à lire des histoires terribles. L'adage aurait-il donc raison, les gens heureux n'auraient-ils pas d'histoire, n'y aurait-il rien à dire d'une vie sans heurt, puisque c'est le heurt même qui fait l'histoire ? Pourquoi d'ailleurs aime-t-on autant les chansons tristes, écouter Barbara et Brel ? Pourquoi tient-on autant à se faire mal, comme gratter la croûte d'une blessure pour se rappeler qu'on s'est fait mal, et aime-t-on ça finalement, que ça fasse encore un peu mal ?

 

Je me rappelle mes cours à la fac, la notion de catharsis, le paradoxe de la tragédie ; des chercheurs en neurosciences ont planché là-dessus bien mieux que je ne saurais jamais le faire pour disséquer les processus cognitifs à l'œuvre lors de l'écoute d'une musique en tonalité mineure, et mis en évidence la libération d'hormones spécifiques. La réponse finalement m'importe moins que la deuxième question corollaire : peut-on écrire une histoire dramatique sans être trop triste, et sans plomber son lecteur ? Ne peut-on pas, au détour d'une page, y aller d'une petite blagounette qui viendra un peu alléger les choses ? Jean-Paul Dubois y parvient, qui sait si bien mêler l'humour à la plus triste des histoires. Sans forcément copier le prix Goncourt 2019, mesdames et messieurs les auteurs, donnez-nous à lire des histoires tristes dans lesquelles vous glisserez un bout de soleil ou un bourgeon qui grandit.


 

Nos corps étrangers, Carine Joaquim, La Manufacture de Livres.

Les nuits d'été, Thomas Flahaut, L'Olivier.

Les orageuses, Marcia Burnier, Cambourakis.

Avant elle, Johanna Krawczyk, Héloïse d'Ormesson.

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, Jean-Paul Dubois, L'Olivier.

Posté le 21/03/2021 à 09:44

J'écris un livre

Il est en retraite depuis peu. Pour s'occuper, parce qu'il est hyperactif, et parce depuis une blessure au mollet il ne peut plus courir, il a décidé d'écrire un livre. Il s'y est mis depuis début janvier, et nous annonce avec fierté qu'il en a écrit 325 pages. En deux mois. Il faut dire qu'il n'a pas ménagé ses moyens ni ses efforts : aidé par un logiciel nommé Control Writer acquis pour un abonnement annuel de 60 €, il a monté une intrigue en 8 chapitres et une quarantaine de sous-chapitres, créé des fiches personnages, rédigé un synopsis, monté un décor installé sur la modélisation de Google Earth et illustré par de nombreuses photos tirées du web, et entrepris de rédiger son récit. Lequel s'intitule pour le moment Ticket maudit et raconte l'histoire d'un entraîneur sportif qui récupère les gains d'un ticket de loto de 200 millions d'euros, légué par son propriétaire défunt à condition qu'il s'engage à s'occuper de sa fille.

Il ne le dit pas, mais je crois sentir qu'il est assez fier de lui, nous montrant les statistiques éditées par son logiciel, qui lui indiquent le nombre de pages écrites quotidiennement, le temps passé compté en jours, heures et minutes ; c'est une sorte de challenge, au bout duquel il est bien résolu à aller. Il écrit chaque jour ou presque, plusieurs heures, quand l'envie le prend, au petit matin souvent, la télé branchée sur W9 mise en sourdine. Il sort le gros classeur dans lequel il a glissé sa production et nous invite à le feuilleter. Je parcours les premiers chapitres : je ne m'attends pas à de la grande littérature de la part d'un homme qui reconnaît ne pas lire – au demeurant je ne vois pas de livres chez lui, à l'exception de quelques ouvrages documentaires et l'opus de John-Nicholas Gray Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus -, et passe une bonne heure chaque matin devant BFM TV -, les fautes d'orthographe et de ponctuation émaillent un texte maladroit et bourré de détails inutiles, les dialogues sont sans consistance, l'enchaînement des péripéties se fait sans grande logique.

C'est qu'il aborde la littérature avec un esprit strictement pratique, comme une tâche à mener à bien, une paillotte à construire dans son jardin, et reconnaît n'utiliser qu'une partie des possibilités de son logiciel. Au demeurant, il n'y a vu que les outils, et a négligé l'aspect un tant soit peu littéraire, les conseils d'écriture donnés par des coachs en écriture romanesque. J'y retrouve des conseils que j'ai déjà glanés sur Internet, sur le point de vue du narrateur, la construction des personnages, l'utilisation des adverbes, de quoi amender quelque peu sa production. Mais l'aspect littéraire de l'écriture, le travail du style, la glaise des mots, la mélodie de la langue ne l'intéressent pas. Ce qui compte, c'est le temps passé, et le travail produit.

Il me demande mon avis sur le logiciel, dont je lui dis que c'est un outil intéressant. Je ne lui dis pas ce que je pense au fond de ce produit marketing qui surfe sur la vague des activités visant à s'occuper chez soi en période de restrictions sanitaires, et qui donne hypocritement à n'importe qui l'illusion de croire qu'un programme informatique suffit pour écrire un roman. Je ne lui dis pas qu'écrire est un travail de longue haleine, qu'il repose sur des années de travail et passe par la lecture de "maîtres" et un long apprentissage, que la gestation est longue et parfois douloureuse, et qu'à part s'appeler Jean-Paul Dubois on écrit rarement un roman en si peu de temps.

Il sait que j'écris aussi. Il me demande si j'ai moi aussi écrit des romans… Des nouvelles lui réponds-je, et un projet romanesque en chantier. Sa curiosité s'arrête là. Je ne fais pas de remarques sur sa production, tâchant de mettre de côté mes a priori et mes réflexes professionnels. Parce qu'il faut tout de même lui tirer son chapeau : sans prétention littéraire ni expérience aucune, il s'est lancé dans un projet qu'il va mener à bien. Il s'est mis à l'écriture comme il a jadis passé le permis de tout ce qui se déplace, poids lourd, bateau, avion, avec une constance, une opiniâtreté et une organisation qui forcent le respect à défaut de l'admiration. Pour avoir, à la fin, la satisfaction de dire je l'ai fait.

Posté le 15/03/2021 à 10:14

Danse à la maison

Dimanche, 10 heures du matin. Les vidéos de promotion de l'école cèdent la place à un studio. A la barre face caméra, une jeune femme brune nous souhaite la venue pour ce nouveau cours et montre le premier exercice. Elle compte avec un fort accent italien, en roulant les r, pré-pliés pour se mettre en jambes et tirer un peu le dos, facile. One, two, thrrrre, fourrrr, le piano égrène un adage, le corps se réveille doucement, ça tire un peu dans la colonne vertébrale, ça fait du bien. Aux pliés maintenant : deux demi-pliés en première, un grand, ramassé en avant, sentir ses ischio-jambiers, je rajoute un équilibre sur demi-pointes pour corser l'exercice, ça tient. Dégagés, je dédouble les comptes pour travailler un peu plus, je suis trop sûre de moi et me trompe à gauche. Ronds de jambe à terre, j'essaie de reproduire ce mouvement de l'Italienne avec le haut du corps tout en retenant le port de bras inhabituel, ça coince un peu. Je pars de côté, la chaise que je cramponnais glisse sur le sol. M'acheter une barre. Le chat patiente stoïquement devant la porte-fenêtre, je zappe les explications de détail de l'exercice des fondus pour lui ouvrir, je rattraperai. En seconde position, retiré au genou, développé, deux ronds de jambe en dehors, ma tendinite à la hanche gauche se rappelle à mon bon souvenir. Finir équilibre attitude et développé, la cheville tremblote, gainer les abdos, se grandir, je tiens quelques secondes et termine à peu près proprement.

Je commence à avoir chaud et retire mon pull. Petits battements sur le coup de pied, je dédouble encore, rate un relevé à la fin. Le chat gratte pour rentrer. Je lui ouvre et manque la démonstration de l'adage, heureusement l'exercice est lent. Développé arabesque, mon pied heurte la table du salon, je me décale de cinquante centimètres, pas plus car après c'est le canapé. Grands battements, je range la chaise trop légère pour me tenir au mur. Du mal à développer la jambe gauche à la seconde, ça fait un point douloureux quand elle redescend. L'Italienne nous souhaite une bonne journée, le chat s'est assis sur le pouf et me regarde l'air souverain en cliquant des yeux, indifférent aux assouplissements que je fais sans musique.

Mais j'ai encore envie de bouger. La marche des Turcs de Lully pour des dégagés que je veux somptueux avec des ports de tête opposés et des grands bras. Je fais appel à ce que je connais de la danse baroque, mes pieds s'agitent, coupent, relèvent, secs, précis, il faudrait y mettre des brisés et des entrechats mais je crains de déranger le voisin du dessous en sautant. Quelques déboulés, j'essaie une pirouette mais le parquet trop glissant manque de me faire chuter, je manque soudain d'inspiration et de souffle et m'arrête pour respirer tandis que les cuivres résonnent dans le crescendo final. Le chat s'est roulé en boule. Vivement la réouverture des salles de danse.

Posté le 15/03/2021 à 09:52

Retraite

J'ai fait récemment la connaissance d'une femme de mon âge. Appelons-la Julie. Pas encore une amie, nous n'avons pas eu le temps de créer un lien, mais je crois suffisamment d'accointances pour que j'y voie là le début d'une amitié possible. Si elle se construit sur autre chose que le partage d'événements douloureux, de deuils, et sur la ressemblance de nos vies dans lesquelles on se tient, un peu cabossées, mais debout.

J'étais assise face à elle dans un restaurant bondé quand elle s'est présentée à moi, parmi le groupe d'amis réunis pour une soirée de lecture de textes. Elle m'a dit son nom, voyant que visiblement je ne me souvenais pas d'elle. Nous nous étions rencontrées l'année passée chez des amis communs, j'avais longuement parlé de mon fils et des difficultés que nous traversions alors tous deux. Je me rappelais fort bien avoir beaucoup parlé ce soir-là, mais pas de Julie. Je m'en suis voulu, je me suis traitée d'égoïste, des scrupules qu'elle a balayés sans autre forme de procès, avant que nous entamions une conversation un peu décousue dans le brouhaha ambiant. Conversation que nous avons continuée sur le chemin du retour à vélo, puisqu'il s'est avéré que nous habitions le même quartier, et que seule la pluie nous a fait interrompre. Nous nous sommes dit au revoir en nous promettant de nous revoir très vite, car nous avions beaucoup à nous dire.

Fait et dit, elle est venue dîner chez moi quelques jours plus tard. Une soirée à parler, boire pas mal, et confirmer une belle entente à venir. Je crois que j'aime ceux que la vie n'a pas épargnés. Bien sûr, il y a forcément un écho à mon propre vécu, mais pas seulement. Quand ils sont capables de résilience, qu'ils ont su éviter la tentation de l'amertume et qu'ils ne sont en rien blasés, ils font preuve d'une humanité et une profondeur particulières, qui me touchent au profond de ma propre sensibilité. C'est le cas de Julie, qui aime la vie comme elle vient, qu'elle cogne ou qu'elle soit plus clémente. Julie a un appétit de vivre contagieux, et se dit aidée le bouddhisme, qu'elle pratique depuis plusieurs années. Elle se lève très tôt chaque matin et consacre un long moment à la méditation. Est-ce cela qui lui a donné sa force morale et son sourire ? Peut-être. Sans doute. Mais pas que, je suppose.

Avant de partir, elle m'a demandé de lui prêter des romans que j'affectionnais particulièrement. Elle est repartie avec le très beau A la ligne de Joseph Ponthus, le roman de Gaëlle Nohant sur Robert Desnos qui m'avait tant touchée il y a deux ans, et Une fille sans histoire de Cécile Balavoine lu récemment– pour ce courage de s'être exposée sans fard, complaisance ni pudeur. Des livres qui, m'a-t-elle dit, accompagneront la retraite spirituelle qu'elle allait faire la semaine suivante.

Sa retraite a démarré hier, chez elle, pour cause de confinement. Elle m'a prévenue la veille de ce qu'elle allait couper son téléphone. Aujourd'hui, contrainte par la situation sanitaire à limiter mes relations sociales à mon fils et à mon voisin, je pense à elle, et éprouve pour elle une réelle admiration, à être capable de se couper de tout, y compris des liens que nous entretenons via les réseaux sociaux, dont pour ma part je ne sais pas me défaire. Il faut du courage je crois, pour s'affranchir ainsi volontairement du monde et aller explorer son âme sans craindre le silence et la solitude. J'espère que ses lectures l'accompagnent sans la distraire de sa quête de paix et d'harmonie.

Posté le 01/11/2020 à 16:46

Confinement J5

A la radio, on conseille de tenir un journal.

Moi je suis sûre que la situation va inspirer nombre d'auteurs, et que d'ici six mois ou un an fleuriront nombre de récits, témoignages, autofictions ou fictions, sur la thématique du confinement. Journal d'un confiné, récit, raconté par un parent tâchant de faire du télétravail tout en prenant en charge trois enfants interdits de sortie, dont un ado râleur parce que Netflix est saturé et un en bas âge qui aura barbouillé de feutre les murs du salon et utilisé les douze oeufs du frigo pour faire une omelette au chat. Tout cela dans un appartement de 70 mètres carrés sans balcon, alors qu'à 4 heures de l'après-midi il fait 21 degrés et que le parc en bas est absurdement vide. Le roman des confinés, qui racontera le quotidien d'un couple contraint à se fréquenter 24 heures sur 24, sans le dérivatif des relations sociales, d'un dîner au restaurant ou d'une séance de cinéma, ou de toute activité susceptible de le distraire de lui-même. Avec deux possibilités de chute : le happy end où les conjoints retrouvent le sens profond de la vie et retombent amoureux (ou bien ils sont suffisamment de ressources personnelles et d'espace pour éviter la fatale promiscuité) ; la fin ironique d'un divorce. Du confinement et autres réflexions, essai philosophique ou sociologique, qui traitera - au choix mais la liste n'est pas exhaustive - des bienfaits du lâcher prise, de la prise de conscience de soi, de l'impermanence des choses, du sens de l'existence, de la vacuité de la consommation, du retour aux valeurs d'entraide, de notre système de santé soumis aux lois de la rentabilité, etc. On en profitera pour relire les grands auteurs, et on se renseignera sur les fake news, les théories complotistes et la fabrication de l'information. Enfin, on verra paraître Confinement meurtrier, thriller psychologique dans un huis clos délétère, ou encore La fin du confinement n'est pas pour demain, roman d'anticipation dans lequel le virus s'étend à l'ensemble du monde et extermine les trois quarts de la population, à l'exception des moins de 18 ans et des libraires.

Posté le 21/03/2020 à 17:28

Pourquoi je n'aime pas les sapins de Noël

Hier matin, le grand bouleau devant la maison a été abattu. Je l'avais toujours connu et entretenais avec lui des rapports complexes, tantôt amicaux ou reconnaissants, tantôt haineux. A l'automne, il envahissait le jardin de tonnes de petites feuilles qui trouvaient toujours le moyen de s'infiltrer partout, entre les dalles de la terrasse, dans les bouches d'aération de la voiture, collaient aux semelles, et me fournissaient de quoi remplir allégrement une bonne vingtaine de sacs pour la déchetterie. Au printemps, le moindre souffle de vent faisait se dégager de ses chatons un nuage d'un vert improbable qui faisait la joie de tous les allergiques.

Cependant, je lui reconnaissais certains atouts : faire de l'ombre à une terrasse exposée sud-ouest, offrir un écran visuel à la curiosité du voisinage, et servir d'escalier au chat.

Par une belle fin d'après-midi d'août, l'une des branches maîtresses s'est inclinée sur la route, menaçant d'écraser la voiture ou le piéton qui aurait eu l'imprudence de passer à proximité. Munis d'une hache et d'une scie, nous sommes parvenus, avec l'aide des voisins et non sans mal, à la scier, constatant que les prédictions paternelles et forestières quant à la présence d'un champignon était avérées, et le bois complètement pourri. Il a donc fallu prévoir l'abattage complet du spécimen, nonobstant ses bons et loyaux services rendus depuis de longues années.

Je n'ai pas assisté au travail des élagueurs, requise par des exigences professionnelles. A mon retour, je n'ai trouvé que du vide et la souche, à demi enfouie sous le lierre. Et j'ai eu une pensée triste, et la même envie de m'excuser auprès de lui que lorsque je croise, en cette période de l'année, des sapins abandonnés sur les trottoirs. Je ne peux me départir d'une pointe de chagrin en constatant qu'après avoir été revêtu d'atours colorés, mis en lumière au milieu du salon, et abrité les cadeaux sous ses basses branches, le roi des forêts se retrouve les fêtes finies mis à la porte, clochard sylvestre à qui l'on ne daigne même pas de finir dans une bonne flambée.

Posté le 08/01/2020 à 16:49

Retrouvailles

J'avais écrit un truc l'été dernier, lors des commémorations du 75ème anniversaire du Débarquement :

En 1944, Kara Troy Robbins, un GI alors âgé de 20 ans, fait la connaissance de Jeannine Ganaye, 18 ans, dans la région de Briey, Meurthe-et-Moselle.
75 ans plus tard, c'est une équipe de journalistes de France 2 qui a permis au vétéran américain de retrouver son amour de jeunesse, dont il avait gardé une photo. Les images de ces retrouvailles sont amplement diffusées et commentées : c'est évidemment émouvant, même si les deux vieux amants n'ont pas beaucoup à se dire, étant donné qu'aucun des deux ne parle la langue de l'autre. Au moment des adieux, l'ancien soldat est déjà assis dans la voiture, et ne cesse de répéter "I love you" tandis que la vieille dame semble s'efforcer de répondre au même empressement. On est encore en larmes, mais on sent chez Jeannine un je ne sais quoi de retenue face à tant de fougue. Parce que 75 ans après, c'est tard, et on a beau dire qu'il vaut mieux tard que jamais, on pourrait se demander ce que ces deux nonagénaires pourraient encore bien partager : la vie les a séparés, et l'implacable logique des choses, et une sorte de fatalisme, alors les réunir l'espace de quelques heures, devant les caméras friandes d'histoires à faire pleurer Margot, cela parait un peu gratuit, à part pour l'Audimat. Cela, Jeannine paraît le sentir, cette vanité à vouloir ressusciter le passé et les amours enfouies, c'est pourquoi elle se recule un peu, tandis que Kara la retiendrait bien encore, à quoi bon se dit-elle peut-être, être si émus sous l'oeil des médias, le trouver vieux, se trouver vieille.

Posté le 08/01/2020 à 15:43

O sole mio

L'habit ne fait pas le moine, il y a des chauffeurs de bus poètes. Des cordonniers chanteurs. J'en ai rencontré un hier matin.

Je dépose il y quelques jours une paire de chaussures à réparer, dans une des rares officines encore ouvertes à une époque où l'on jette ses souliers usagés. Lorsque je les récupère, dûment réparées, moyennant la somme dérisoire de dix euros, je ne peux m'empêcher de demander à l'homme de l'art s'il est italien - question sans grand danger, vu son accent et son nom, Randolfi. Le voilà qui me répond :
- A si ! Parla l'italiano no ?
- Un po', ma non troppo bene.
- Ma si deve parlare, i Francesi no parlanno lingue perche hanno sempre paura si sbargliarsi, les Français veulent toujours tout corriger, che peccato ! Et nous voilà partis dans une conversation dans les deux langues, où Giuseppe le Calabrais - come ti chiami, je te tutoie, tu me dis tu aussi, mi piace cosi - me localise sa région d'origine en se saisissant d'une botte posée sur le comptoir, cela ne s'invente pas, et me parle de ce qui fait le charme des Italiens, outre la beauté de la langue et du pays, et la qualité de sa gastronomie : la culture, qui imprègne même les classes les plus populaires, et dont il est la parfaite incarnation, lui qui n'a me confie-t-il que son certificat d'études mais se révèle féru de chansons, qu'elles soient françaises ou italiennes. Il me fredonne La mer de Trenet, puis entonne des airs qu'il aime, Reggiani et La femme qui est dans mon lit, puis Vecchio frack de Domenico Modugno dont il mime les paroles afin d'être sûr que je les comprenne bien ; il chante ce samedi matin dans sa boutique dont je suis la seule cliente, parmi les chaussures et les sacs à main, me dit que O sole mio n'est pas écrite en italien mais en napolitain, puis il me parle de la Sicile, de Leonoardo Sciascia dont j'ai un vague souvenir d'un extrait de Gli occhiali d'oro étudié au lycée, et nous encensons tous les deux Andrea Camilleri disparu récemment.

Je resterais bien plus longtemps, je n'ose pas, je peine à prendre congé de cet homme intarissable, d'une sympathie et d'un enthousiasme communicatifs et finis par lui souhaiter de bonnes vacances puisqu'il prend la route le soir même pour un trajet de dix-sept heures  environ jusqu'à la Calabre. Il m'accompagne jusqu'au trottoir, Ciao cara me répète-t-il en me faisant promettre de revenir le voir, je repars à vélo en fredonnant "Osolemio, sta 'nfronte a te", et c'est un peu de cette Italie si faconde et si chaleureuse qui m'accompagne pour le restant de la journée.

Posté le 04/08/2019 à 12:01

Politiquement correct et langue de bois

La langue de bois et le politiquement corrects sont des concepts historiquement différents mais tous deux des éléments fondamentaux du discours au service d'une idéologie. Ils sont à l'œuvre aujourd'hui, non seulement en politique mais dans tous les domaines du langage, nous n'y échappons pas.

 

Stendhal citait, en tête d'un des chapitres de Le Rouge et le Noir, le père Malagrida, jésuite portugais, qui affirmait que "La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée". De miroir, inversé, de la pensée, le langage est devenu un outil de dissimulation au profit d'une idéologie. C'est le concept de la langue de bois, issu de l'ère bolchevique. Sous l'égide du Parti, se met en place un langage particulier destiné à véhiculer des idées et à servir la propagande. A empêcher de penser, à empêcher de mettre en images la réalité exprimée par les mots et, évidemment, à éviter toute rébellion. Quelques exemples, cités par George Orwell dans son essai La politique et la langue anglaise, rédigé en même temps que 1984 : sous le régime communiste, quand des villages sont incendiés, les habitants contraints de fuir, cela s'appelle "pacification". Quand des milliers de paysans sont jetés sur les routes, cela s'appelle "un transfert de population" ou "une rectification de frontière". Quand des gens sont tués d'une balle dans la nuque ou envoyés dans des camps en Sibérie, cela s'appelle "l'élimination d'éléments suspects".

1984 est une dystopie qui met en scène un monde totalitaire. Orwell s'est inspiré de façon évidente du régime soviétique, en témoignent les premières pages du roman où le portrait géant du chef du Parti est omniprésent, avec la mention "Big Brother is watching you", tandis que l'électricité est coupée en journée. On se croirait en URSS, en pleine guerre froide. Ce monde fictif est gouverné par la Police de la Pensée, où le Ministère de la Vérité charge Syme de créer la novlangue, au détriment de l'ancilangue. La novlangue est une langue extrêmement simplifiée, à la fois dans son vocabulaire et dans sa grammaire. Elle est présentée en détail dans l'appendice du roman d'Orwell. Disons pour faire court et essentiel qu'elle est destinée à anéantir toute expression de la pensée individuelle et à empêcher toute pensée critique. "Nous détruisons chaque jour des mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu'à l'os.", dit Syme. Cette fiction aurait-elle valeur de prophétie ?


C'est en tout cas la vision de Franck Lepage, qui a été instituteur, animateur, fondateur d'une compagnie de théâtre, et qui défend le concept d'"éducation populaire". Il est l'inventeur des "conférences gesticulées", sortes de sketchs où à partir d'une quinzaine de mots très usités qu'il mélange il parvient à faire des phrases pour aboutir à un discours qui ne veut strictement rien dire : décentralisation, diagnostic partagé, mondialisation, proximité, citoyenneté, local, démocratie, participation, acteurs, partenariat, contrat, développement, projet… on reconnaîtra sans peine ce vocable utilisé à l'envi et de façon plus ou moins heureuse par nombre de nos représentants politiques. La démonstration est époustouflante, je ne peux qu'encourager le lecteur à visionner quelques-unes de ses vidéos. Au-delà de l'aspect humoristique de ses prestations, Franck Lepage est un agitateur qui cherche à nous désintoxiquer de la langue de bois. Son discours est éminemment politique, gauchiste et syndicaliste, mais il met le doigt sur une mécanique linguistique à l'œuvre qui n'est pas sans conséquences. En effet, si l'on remplace un terme négatif par un autre plus positif, par exemple "récession" par "croissance négative", il devient plus difficile de remettre en cause la politique économique du pays. Même chose si l'on remplace "licenciement collectif" par "plan de sauvegarde de l'emploi". Le simple fait de dire "demandeur d'emploi" plutôt que "chômeur" n'est pas anodin. Un dernier exemple, qui relève cette fois non plus du vocabulaire mais de la structure de la phrase elle-même : dire "Il a été décidé que…" plutôt que "Nous avons décidé que…" entraîne, avec la voix passive et donc la disparition du sujet réel, une destruction de la responsabilité, un anonymat qui évite de trouver un coupable. On n'est pas loin des formules caractéristiques du jargon communiste lorsqu'on entendait que le plan quinquennal avait été rempli…

 

Quoique d'origine différente et plus récent, le politiquement correct est un concurrent de la langue de bois. Il est apparu aux États-Unis dans les années 70. Face à la première vague des revendications identitaires, il a fallu ériger le rempart du "politically correct", dont le principe consistait à éviter d'offenser la conscience de toute communauté. C'est le règne de la plus grande vigilance, où l'on se met à employer une expression minimaliste, accompagnées d'euphémismes, de litotes ou de clichés. C'est un code de bienséance langagière, qui devient peu-à-peu une contrainte de non-expression généralisée, à base d'un conformisme réputé "bien pensant". A tel point que ce code détermine, dans les milieux universitaires, les relations entre enseignants, entre étudiants, et surtout entre enseignants et étudiants, et qu'à Harvard on organise des stages de "political correctness". Big brother is watching you ?

La principale différence entre langue de bois et politiquement correct est là : la première est dictée par un régime autocratique, tandis que la deuxième est au départ mise en place par des gouvernements soucieux de davantage de démocratie, et de préserver les communautés. Cependant, l'effet est le même : un réel appauvrissement du langage, qui se détache du contexte politique et social américains pour gagner en Europe d'autres lieux et milieux, notamment celui de la communication et de l'économie. Ses moyens ressemblent beaucoup à ceux auxquels recourt la langue de bois : on est au royaume de l'euphémisme. Ainsi les aveugles deviennent-ils des mal voyants, les sourds des mal entendants, les concierges des gardiens d'immeubles, les pauvres des démunis, et on ne parle plus de grève mais de mouvement social – un comble quand les métros et trains sont immobilisés sur les voies !

On aseptise le vocabulaire pour éviter toute vexation, au risque d'une réelle perte de sens, d'une certaine bien pensance et d'un certain conformisme. On en vient à s'autocensurer. Comment parler d'une personne à la peau noire par exemple ? Employer le mot "nègre" a des relents colonialistes nauséabonds. On ne peut plus dire noir, ni black, qui sont devenus péjoratifs. On dit "d'origine africaine", espérant mettre dans ce flou géographique un peu de poésie, ou "personne de couleur". Laquelle peut être verte de peur ou rouge de colère. Le problème est qu'à force de craindre de déplaire, on ne s'exprime plus, à part pour dire ce qu'il est souhaitable de dire. Le politiquement correct s'est imposé de façon insidieuse dans les médias et dans la langue quotidienne. Plus question d'appeler un chat un chat, une personne obèse est en surcharge pondérale, une caissière une hôtesse de caisse, un cadre de plus de 50 ans un senior confirmé. Et qui aujourd'hui pourrait prétendre avoir la liberté de ton de Pierre Desproges sans risquer d'encourir un procès pour propos diffamatoires ?


Des expressions convenues aux idées toutes faites, il n'y a qu'un pas. C'est sans doute là le réel danger de la langue de bois et du politiquement correct : si l'on perd la capacité de s'exprimer, on perd celle de penser.

 

En littérature, le politiquement correct se traduit par le cliché. Si j'écris : "Il fronça ses sourcils broussailleux en lui jetant un regard perçant. Elle frissonna jusqu'aux os et sentit son cœur battre la chamade", j'ai utilisé quatre lieux communs. Il s'agit d'habitudes d'écriture, répétées avec suffisamment de constance pour être reconnues comme relevant d'expressions dites "littéraires ; elles jouent le rôle d'un label, d'une étiquette. Elles peuvent fonctionner par métaphore – des yeux bleu océan, une confiance aveugle, la couleur argentée de la lune -, par association – une marque indélébile, un nez aquilin, manquer cruellement de… -, par comparaison – des cheveux blonds comme les blés, se tenir droit comme un i, etc. On trouvera nombre d'exemples commentés avec humour dans Le dictionnaire des clichés littéraires d'Hervé Laroche. Plus encore, afin que l'on ne me reproche pas de n'avoir évoqué que la langue, le cliché, ou lieu commun, se niche aussi dans les idées. Fleurissent nombre de romans ou films bourrés de topos, qu'il s'agisse de l'intrigue - deux personnages se détestent et finissent par tomber amoureux, l'amour triomphe de tout, la thématique rabattue de l'infidélité conjugale, etc – ou d'un personnage – le méchant devient gentil, le flic est forcément alcoolique et dépressif. Le travail d'un écrivain va consister justement à, dans la mesure du possible, éviter de tomber dans le piège du cliché, qu'il concerne le fond ou la forme.

George Orwell donnait, dans La politique et la langue anglaise, de nombreux conseils et exhortait à la "simplicité travaillée" : "N'utilisez jamais une métaphore, une comparaison ou toute autre figure de rhétorique que vous aurez déjà lue à maintes reprises. N'utilisez jamais un mot long si un mot plus court peut faire l'affaire. S'il est possible de supprimer un mot, n'hésitez jamais à le faire."

 

Comment échapper au prêt-à-penser du politiquement correct ? Il faut garder à l'esprit que la langue est un outil au service du pouvoir. Les mots ne sont jamais anodins, et la préservation de leur richesse est le garant de la liberté d'esprit. Cherchons à parler, à écrire juste, et bien. Soyons vigilants. Lisons, écrivons.

Posté le 30/04/2019 à 17:20

Chauffe Marcel

Les portes s'ouvrent en chuitant. Deux ou trois marches à gravir, une carte pressée contre le lecteur qui bippe et affiche "Bon voyage !" avec un smiley, puis il suffit de prendre place si un siège est libre, ou de rester debout en se tenant à la barre pour éviter d'être projeté en avant ou en arrière, selon les aléas de la circulation, en attendant d'arriver à destination.

Manque un élément dans cette courte description : l'homme, plus rarement la femme, qui va mener ses passagers à bon port. Selon l'endroit où l'on est installé, on peut en apercevoir la nuque et l'arrière de la tête, peut-être même les mains posées sur le volant. Si l'on est courtois et que l'intéressé est avenant, on a pu lui dire bonjour en entrant, peut-être même lui adresser un sourire. Mais les choses s'arrêtent là. Cet homme, cette femme, est là pour nous mener d'un point A à un point B, en toute sécurité. On ne lui en demande pas plus.

Pourtant, derrière la personne en uniforme assise à son volant, qui enchaîne les mêmes trajets au sein de sa journée de travail, vingt fois, trente fois que sais-je, est un être humain qui vit, mange, boit, aime, rit, s'enthousiasme ou s'indigne. Peut-être le conducteur d'un mastodonte qui pèse au bas mot ses douze tonnes recèle-t-il d'invisibles marottes, champion régional de bowling, collectionneur d'orchidées ou fan de François Morel. J'ai fait la connaissance d'un chauffeur de bus poète, qui écrit et compose des chansons. Certes, il reconnaît que son travail est alimentaire, mais il en parle sans le dénigrer, et semble même y trouver un certain plaisir.

Si le chauffeur de bus tambourine sur son volant, ce n'est pas parce qu'il s'impatiente, qu'il s'ennuie ou que le feu est trop long, c'est peut-être perce qu'il a une idée de mélodie. Il lui arrive même de la fredonner.

C''est l'occasion de mettre à mal quelques idées reçues, mais surtout de se dire que l'habit ne fait pas le moine et qu'au hasard d'un trajet, entre deux arrêts, s'écrit peut-être le petit air d'une vie que l'on ne soupçonnerait pas, sous l'uniforme de la CTS.

Posté le 20/04/2019 à 17:09

Bon anniversaire

Aujourd'hui 19 février 2019, j'ai 49 ans. Preuve par 9 que le temps passe. J'ai accompli, sauf longévité particulière, plus de la moitié de ma vie ; les années passées sont plus nombreuses que celles à venir. Ce qui, au demeurant, ne m'angoisse pas particulièrement. Non plus que ne m'angoisse le fait de prendre de l'âge : qu'autour de moi on vieillisse aussi me rappelle que je ne suis pas victime d'une malédiction personnelle et contribue à me faire accepter les rides, les premiers cheveux blancs, la chair un peu ramollie et autres joyeusetés de l'âge.

Il est cependant deux choses un peu plus difficiles à accepter. Le corps qui, doucement, insidieusement, vous trahit. Il n'en a pas trop l'air au début : une déchirure au mollet, et le radiologue qui vous a fait une belle échographie et vous dit qu'avec l'âge, vous aurez sans doute d'autres blessures du même tonneau ; de l'arthrose au pouce ; un névrome de Morton débutant qui risque de compromettre votre pratique de la danse... Bref, la mécanique s'use, il n'existe pas de pièces de rechange. Le processus est irréversible, implacable, et on sait bien qu'il n'ira qu'en s'empirant.

Et puis, il y a le regard des autres. Celui des jeunes gens, qui contient ce quelque chose qui veut dire, du haut de leur insolente jeunesse, que vous êtes passée de l'autre côté, que désormais vous êtes vieille, et que vous avez perdu tout potentiel de séduction. Le regard des gens de votre âge, les femmes qui vous comparent à elles, jaugeant votre silhouette, votre visage, votre façon de vous habiller, de vous mouvoir, les hommes qui peuvent peut-être encore vous trouver quelque attrait, à moins qu'ils ne préfèrent quelqu'un de plus jeune, de plus valorisant. Le regard de ceux que vous trouvez vieux, qui vous disent que vous, vous êtes encore jeune - on est toujours le plus jeune de quelqu'un...

Je n'ai pas encore mis le déambulateur sur ma liste de courses, parce qu'en attendant, j'ai du travail : accepter cet état de fait, plutôt que me jeter dans une révolte aussi stérile que ridicule. Danser autrement. Porte sans gêne ni scrupules mes 49 ans, mes 50 bientôt, et tous les ans à venir. Bon anniversaire.

Posté le 19/02/2019 à 09:59

Je n'arrive pas à croire à l'inconscient

Je sais déjà ce que mon psy va me dire : il m'interrogera sur le terme de "croire", et me rappellera qu'il s'agit d'une croyance, c'est-à-dire le fait de croire une chose vraie, vraisemblable, possible. Croire, au sens premier du terme, c'est tenir pour vrai, pour véritable. D'ailleurs, j'aimerais bien croire en Dieu par exemple, cela me dédouanerait de certaines responsabilités et répondrait à certaines de mes questions, laissant par exemple à un être supérieur
le choix de décider pour moi.

Mais l'inconscient, c'est comme Dieu, je n'arrive pas à y croire, ou tout au moins je ne suis pas sûre qu'il existe.

Bien enfoui dans les tréfonds de… quoi ? de ma pensée, de mon âme, de ma psychologie, bref dans les fins fonds de ce qui me fait moi, il serait responsable de certains de mes comportements et de mes décisions, via des mécanismes que j'ignore, puisqu'il agit à mon insu ; il se manifesterait par un langage métaphorique, à travers les lapsus, la polysémie de la langue, et les rêves.

Les lapsus : cela a-t-il une réelle importance que j'emploie un terme à la place d'un autre ? Si j'utilise un prénom au lieu d'un autre, que j'appelle mon conjoint par le prénom de mon ex, cela dit-il autre chose que le fait que cet ex ait laissé une trace en moi, qui remonte à ma conscience en raison de l'analogie de situation ?

La polysémie des mots est amusante, et prête à réflexion, si je dis par exemple "J'ai tout fait pour…" qui peut s'entendre comme "J'étouffais". Mais est-ce l'inconscient qui parle, ou tout simplement le désir de jouer avec la langue, puisque le lapsus fonctionne sur des expressions idiomatiques ou des homophonies, et perd toute sa saveur dès lors que l'on le traduit ? Ce sont des jeux de mots, et alors l'inconscient est un humoriste qui s'ignore…

Quant aux rêves, quelle importance leur accorder ? Un matin, je me suis réveillée en rêvant que je prenais un ticket à un guichet type sécurité sociale, et que parmi les nombreux menus proposés, aucun ne me convenait, jusqu'à ce que, en désespoir de faire un choix, je sélectionne l'item "Dieu". J'avais discuté la veille avec mon psy de la signification de mon prénom, qui signifie quelque chose comme "la joie de Dieu", ou "la joie à travers Dieu". Et une autre nuit, je me souviens avoir rêvé du petit fils de mon compagnon, avec lequel j'étais à la piscine et cherchais désespérément des toilettes (thème onirique fréquent chez moi), et finissais par partager de la pâtée pour chien. La veille, nous avions parlé de la mère de ce petit garçon ; j'avais ouvert un nouveau sachet de croquettes pour le chat.

Ainsi ai-je donc constaté que souvent mes rêves font référence à des détails de la journée passée, comme si mon cerveau reprenait dans mon sommeil les éléments vécus pour les trier et les classer dans ma mémoire, selon un ordre d'importance que j'ignore. Le rêve n'aurait-il donc qu'une fonction utilitaire de support, ne serait-il qu'un scenario inventé de toutes pièces par une partie de mon cerveau pour "recoller" les morceaux afin de leur donner un peu de cohérence ?

Mon inconscient, lui, reste muet.

Où est-il ? Je commence à désespérer de le débusquer. S'il existe, si je dois admettre son existence potentielle, je l'imagine comme une créature enfermée, une sorte de mini moi, prisonnière d'une cage de verre aux parois de laquelle elle frappe en vain, et que je n'entends pas. Une créature qui voudrait sortir mais que j'ignore et qui crie à l'aide dans le silence.

Posté le 20/04/2018 à 11:19

Toutes les meilleures raisons pour ne pas écrire

D'abord, comptez avec la paresse : celle du petit matin, où réveillé par la lumière d'une aube d'été pleine de promesses, vous vous dites qu'il n'est que 5 heures 30 et que vous avez bien le temps avant de vous lever, si bien que, somnolant à demi et songeant à toutes ces choses que vous pourriez faire en profitant du calme matutinal, envoyer des mails, écrire une chronique, avancer dans votre projet de roman, désherber le jardin, faire la vaisselle de la veille, lire deux ou trois chapitres, écouter la radio, aller chercher le pain, ainsi le temps file et quand à la fin la culpabilité a raison de vous et vous extirpe de votre couche, il est déjà presque 8 heures et vous n'avez encore rien fait.


Ensuite, il y a la paresse de l'après-midi, et la tentation de la sieste post prandiale. Une fatigue légère, qui vous conduit à reprendre votre livre, en position allongée de préférence. Assurance directe d'un endormissement conséquent. Réveil une bonne heure plus tard, état vaseux, encore une heure pour se réveiller tout à fait, ne reste, avec un peu de chance et sauf imprévu, deux petites heures utilisables dans l'après-midi – qu'on utilisera à faire tout autre chose, après tout ce sont les vacances, et demain, promis, on se lèvera tôt…


Ajoutons à cette prédisposition naturelle à la procrastination un tas d'autres activités qui, à l'heure de s'assoir devant son clavier, revêtent soudain un caractère d'urgence. En général, il s'agit d'activités domestiques ou manuelles, de celles qui ne demandent d'autre effort qu'un peu d'énergie physique : tout à coup, il devient absolument indispensable d'aller tondre la pelouse, couper les roses fanées, aller à la déchetterie, trier les magazines ou faire des courses.

Et puis il y a les hommes. Les membres de la famille, dûment briefés, ne font pas obstacle en général. Mais les autres… Par exemple, il n'est pire ennemi de l'apprenti écrivain que le voisin serviable qui vient faire la causette à la table du jardin où vous venez de vous installer avec votre ordinateur sur l'écran duquel il louche en tentant de voir ce que vous pouvez bien fabriquer. S'il est poli, il murmurera un vague "Je vous dérange ?" qui restera de pure forme, car le voisin serviable a la faculté de s'incruster sans jamais se sentir gênant – après tout, vous n'êtes pas en train de travailler !


Enfin, il est des jours où tout semble se liguer contre vous. D'abord, une simple révision de la voiture avant le départ en vacances, qui se transforme en panne, laquelle nécessite une immobilisation totale, puis un séjour en clinique spécialisée. Vous apprenez que les interventions sont plus nombreuses que prévu, et la facture salée. Vous récupérez la bête, le porte-monnaie largement délesté et le budget vacances grevé d'autant, pour vous rendre compte au bout de quelques mètres que le volant est dur comme du bois. Entre temps l'hôpital a fermé, retour le lendemain matin, pour une nouvelle intervention, moyennant une nouvelle dépense et un nouveau séjour en clinique, ce qui vous contraint de décaler votre départ au soleil. Entretemps, vous cassez votre smartphone, dont la réparation équivaut à l'achat d'un appareil neuf, ce que vous vous empressez de faire puisqu'il est hors de question de partir en vacances avec le téléphone préhistorique qui ne va même pas sur Internet.


Enfin, vous apprenez que votre progéniture a été exclue de son camp scout après avoir été surprise lors d'un trek à fumer de l'herbe. Qui dit exclusion, dit rapatriement rapide dans les familles, or le camp est au fin fond de la campagne bourguignonne inaccessible par train. Il faut vous déplacer : alors que vous n'avez pas fait vos bagages vous vous octroyez donc sept heures de trajet aller-retour pour aller récupérer trois ados piteux qui n'ont d'autre choix que de courber le dos face à la vindicte maternelle.


Tout finissant par se résoudre, une voiture presque neuve qui devrait vous éviter de tomber en panne au bord de l'autoroute et de suer à grosses gouttes dans votre gilet jaune en attendant la dépanneuse, un téléphone tout neuf, et la progéniture casée à l'abri de toute tentation chez les grands-parents à la campagne, les bagages enfin prêts et l'ordinateur bien rangé entre les draps de plage et le sac isotherme, vous voilà fin prêt pour votre programme farniente-baignade-tourisme-lecture-apéros, dans lequel vous comptez bien caser une heure ou deux par jour pour écrire. Sauf imprévu.

Posté le 23/07/2017 à 09:59

Les auteurs à succès de l'année 2016

Vu ce matin dans l'actu de ma boîte mail, le palmarès des dix auteurs de best-sellers, donné par M6 Infos*, par ordre décroissant : en tête, Guillaume Musso, suivi par Michel Bussi (Maman a tort et Le temps est assassin), Anna Todd (auteur de la saga érotique After), Marc Levy (en 4ème position mais en tête des ventes à l'étranger), Harlan Coben, Françoise Bourdin, Laurent Gounelle, Gilles Legardinier, Elena Ferrante, et à la 10ème place, l'incontournable Mary Higgins Clarke.

Des poids lourds du thriller ou du polar, du livre de détente ou de recherche personnelle ; quelques nouveaux venus, et le même constat : c'est bien fichu, efficace, ça accroche l'attention, c'est facile à lire (la syntaxe et le vocabulaire sont réduits à l'essentiel), ça détend, bref, ça remplit son contrat, je confesse en lire parfois quelques-uns et prévois de découvrir Elena Ferrante. Mais où est la Littérature, où sont l'avant-gardisme, l'extraordinaire, l'amour des mots et des phrases qui chantent ? A quelle reconnaissance le roman peut-il encore prétendre, face au mercantilisme de l'édition à succès, où la quantité prévaut sur la qualité ?

*https://m6info.yahoo.com/litterature-le-top-2016-des-auteurs-a-succes-134130857.html

Posté le 20/01/2017 à 10:17

Faites ce que je dis

La grippe est là. Il faut éviter de contaminer son voisin : jeter son mouchoir dans une poubelle, se laver les mains, éternuer dans sa manche, et rester chez soi quand on a une forte fièvre. La vague de froid arrive : couvrons-nous la tête et mettons mains et pieds au chaud, quant aux personnes fragiles, mieux vaut qu'elles évitent de sortir et de faire trop d'efforts physiques (dans six mois, on leur conseillera de boire de l'eau et de se réfugier dans des endroits climatisés, au cinéma ou en médiathèque). Soyons également vigilants sur les pics de consommation d'électricité, et baissons notre chauffage d'un ou deux degrés entre 17h et 20h. 

Par ailleurs, les Français deviennent sédentaires. Il faut manger au moins cinq fruits et légumes par jour, et pratiquer une activité physique régulière, nous invite la campagne "Manger bouger", dont les annonces ouvrent et ferment les coupures publicitaires des chaînes télé, en particulier les canaux jeunesse (un véritable matraquage). Par exemple, privilégions les transports en commun qui obligent l'usager à marcher jusqu'à la station de tram, bus ou métro, afin d'atteindre les 10 000 pas requis au quotidien. Comment il se protégera contre les microbes de ses congénères, ce n'est pas dit. Grâce à son écharpe, sans doute. 

Grelottant de fièvre au fond de son lit, à côté duquel il a placé une poubelle à couvercle pour y jeter ses mouchoirs à usage unique, le citoyen modèle va donc enfiler un pull et des chaussettes supplémentaires après avoir programmé sa chaudière à 18°C et, dès qu'il ira mieux, il enfourchera son vélo ou se serrera dans le bus pour aller travailler. 

Oui, l'hiver il fait froid, l'humidité et les basses températures favorisent la multiplication des microbes et bactéries, mais avons-nous à ce point perdu notre bon sens qu'il faille nous bombarder de messages aussi infantilisants que déresponsabilisants ? Bientôt, on nous suggérera des menus équilibrés, on n'achètera plus que bio et français, et on nous dira à quelle fréquence faire l'amour pour maintenir une bonne santé cardiovasculaire…

Posté le 19/01/2017 à 17:26

Politesse

Au restaurant, quand on vous sert le plat après l'entrée, le serveur vous glisse une "Bonne suite d'appétit !" agrémentée parfois de l'adverbe "très" – je savais que l'appétit avait un début (on salive), mais j'ignorais qu'il eût une suite. J'attends la "Bonne fin d'appétit !" avec le dessert, tant qu'à faire. Quand on prend congé chez un commerçant, on a droit à "Passez une très bonne journée/après-midi/ soirée", quand on ne vous la souhaite pas "excellente" ; il n'est plus une banque, un guichet, y compris dans les boutiques de smartphones, sans une limite de discrétion matérialisée par une bande jaune devant laquelle on aligne consciencieusement les pieds, respectant la barrière à ne surtout pas franchir ; enfin aujourd'hui, dans un magasin de meubles à monter au design suédois, je m'aventure à rejoindre la queue des paiements aux caisses automatiques. Là encore, une ligne derrière laquelle attendre sagement "qu'une caisse se libère" (sic), si j'en crois le panneau dûment exposé au chaland, lequel a devant les yeux un dessin d'une caisse flanquée de paniers à barreaux qui donnent au terme "libérer" son plein sens. On a adouci la formule en ajoutant "Bon encaissement !". Sans blague. A ce train-là, on va voir fleurir des "Bon paiement !" quand on règle ses achats à l'hypermarché, ou des "Bon traitement !" aux comptoirs des pharmacies, et la chose n'étonnera personne…

Posté le 27/12/2016 à 18:29

Le couvercle

"Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle...". Qui ne connaît ce poème qui décrit justement cet état de mélancolie auquel toute créature littéraire et sensible du 19ème siècle se devait de succomber ? Si son contenu traite de l'échec de toute espérance qui "S'en va battant les murs de son aile timide / Et se cognant la tête à des plafonds pourris", rien n'empêche cependant de trouver à Spleen une actualité météorologique.

Baudelaire évoque "la pluie étalant ses immenses traînées", une pluie dont on aurait justement bien besoin puisqu'elle viendrait, grâce aux basses pressions engendrées par la bien nommée dépression, chasser l'anticyclone et nettoyer l'atmosphère. Ah, l'anticyclone ! Celui-là même qu'on attend l'été, centré sur les Açores, et qu'on voue désormais aux gémonies lorsqu'installé l'hiver à l'est de notre territoire, bien campé sur ses hautes pressions, il maintient fermement le nuage de pollution sur les villes, lesquelles cumulent le double handicap d'être sises en fond de vallée et de concentrer les activités humaines.

Pour lutter contre la pollution, il faut être propre. Haro sur le citoyen consommateur, à coup de mesures coercitives plus ou moins appréciées, comme la circulation alternée des véhicules ou les limitations de vitesse. On lui conseille même de baisser son chauffage d'un degré, selon le principe bien connu qu'un petit effort, cumulé à d'autres, aura de grands effets sur la planète.

Paradoxalement, on peut s'interroger sur la contribution des collectivités à soulever un peu le couvercle : quid du surplus d'activité humaine généré par les contrôles routiers pour verbaliser l'automobiliste qui n'a pas la bonne plaque ou un véhicule hors d'âge ? Que penser de ces commerces qui œuvrent toutes portes ouvertes, hiver comme été, afin d'attirer le chaland en période de frénésie acheteuse ? On en appelle au comportement citoyen, mais on vante au JT les mérites du sauna qui serait excellent pour la circulation sanguine et le fonctionnement cardiaque - lequel sauna équipe 70% des foyers finlandais (mais peut-être n'y a-t-il pas de couvercle sur les hautes terres de Scandinavie ?). 

J'oubliais : il est conseillé d'éviter les sources de chaleur polluantes. Exit donc le feu de cheminée si chaleureux, les marrons grillés et les séances de lecture les pieds au chaud, et tant pis pour l'ambiance. On n'aura qu'à allumer les guirlandes du sapin. Ah non, ça consomme aussi. Je propose qu'on interdise le froid l'hiver.

Posté le 16/12/2016 à 14:32

"Cupidon s'en fout" à l'Opéra du Rhin

Jeudi soir, je vais assister au premier spectacle de la saison des Ballets du Rhin. Cupidon s'en fout, un ballet d'Etienne Béchard, jeune chorégraphe venu du Ballet Béjart de Lausanne, est une pièce courte, une heure sans entracte, qui met en scène des danseurs en noir et blanc, portant poussant empilant des caisses de bois qui servent à la fois d'accessoires, d'éléments de décor et de support. Rythmée par des musiques alternant classique – Eja Mater du Stabat Mater de Vivaldi, Eben, non andro lontana de La Wally chanté par la Callas – et morceaux techno ou instrumentaux proches des bruitages, la danse repose sur une technique classique irréprochable, mise au service d'une danse contemporaine inventive, qui va par ailleurs voir de temps à autre vers le rap pour les garçons et les techniques circassiennes pour les portés parfois spectaculaires de précision et d'acrobatie. Outre les pas de deux impeccables, avec mention spéciale aux deux derniers, j'ai beaucoup aimé les chorégraphies de groupes, qui allaient précision, technique et humour.

Au début, les filles sont en jupette et chaussettes blanches, les garçons en short. La jupette devient jupe, le pantalon s'allonge, les vestes sont de mise : de l'école, on passe au monde du travail, où les papiers volent et les couples se forment. Et puis, c'est la robe de chambre et le peignoir à carreaux, et le vent qui souffle… Je n'en dis pas plus, il serait dommage de déflorer la fin qui justifie le titre du spectacle, tiré d'une chanson de Brassens :

"Pour changer en amour notre amourette

Il s'en serait pas fallu de beaucoup

Mais, ce jour-là, Vénus était distraite

Il est des jours où Cupidon s'en fout…
"  

Posté le 20/11/2016 à 10:53

Mon webmaster

Touche à tout génial, Philippe est ingénieur de formation. Ce qui ne l'empêche pas de jouer du saxophone dans une formation de jazz, de faire du bricolage, d'écrire des livres de science-fiction, de se passionner pour les poulpes ou de créer des sites web pour ses amis. Il vit dans une grande maison dont la grange lui permet d'organiser des concerts, il a une capacité de travail phénoménale que je lui envie, et déteste le gingembre. Ami Philippe, merci à toi sans qui ce projet n'aurait jamais pu se faire.    

Posté le 13/11/2016 à 20:14

Du titre de ce site

Usine. J'aurais pu lui préférer le mot "manufacture", qui recouvre bien l'idée d'artisanat du travail de l'écriture. Mais la Manufacture c'est une salle de spectacles alsacienne, et "La Manufacture à paroles" c'est un peu long. Fabrique à la rigueur, mais le terme a suscité encore plus de vocations, du bricolage au théâtre, et jusqu'à la maison d'édition.

En revanche, aucun éditeur n'a, à ma connaissance, pris le pari de s'appeler l'usine. Le mot a sans doute trop de connotations industrielles.


Au collège, un certain nombre de mes camarades avaient des parents qui travaillaient à l'usine. Je n'avais aucune idée de ce que cela signifiait ; tout juste savais-je que le rythme de travail était difficile, puisqu'un certain nombre d'entre eux faisaient les 3 huit, et que la répétition des tâches les fatiguait. L'usine est restée un concept flou pendant longtemps, jusqu'à ce qu'en terminale, j'aille visiter une usine de rétroviseurs avec ma classe, visite organisée par notre prof de philo aux sympathies communistes, qui nous avait ensuite reproché d'avoir, dans nos compte-rendu, pris parti pour les employés dont l'entreprise était menacée de fermeture. Exit ma vision d'un univers bruyant, sale, sombre, mal aéré, plein de poussière accumulée, un monde à la Zola que cette visite d'un atelier presque aseptisé, où œuvraient des silhouettes en bottes et combinaison, coiffées de casques, avait fait voler en éclats.


Pourtant, ces deux syllabes, ce seul mot, ont continué d'exercer une sorte de fascination sur moi, devenant symbole d'un travail en train de se faire, sorte de "work in progress", si bien que je l'ai très vite utilisé à des fins personnelles.


En effet, je m'étais mise à écrire, des poèmes ou de très courts récits et, depuis mes 15 ans, un journal. Je découvrais ainsi l'aspect laborieux de l'écriture des uns, le rythme de la rédaction de l'autre. Il semblait tout logique d'y associer le terme d'usine, auquel j'ai conservé la majuscule. Mais quel lien avec l'écriture, me direz-vous ? J'ai dû lier, sans le savoir, ce concept fantasmatique de mon adolescence et ma propension à bavarder qui m'avait parfois valu le surnom de "moulin à paroles".


L'Usine à paroles est donc née ainsi. Aujourd'hui, elle regroupe tout mon travail, lisible ou illisible, partageable ou jalousement planqué dans mon disque dur. Pour l'essentiel, elle est composée d'un journal que je tiens depuis 2005 sur ordinateur, qui forme sans doute plus d'un millier de pages évidemment non partageable et ne présentant de réel intérêt que pour son auteur.


A part l'écriture diariste, il m'arrive d'écrire des nouvelles. Rarement, c'est vrai. Et j'ai bien des projets, pour l'heure loin d'être aboutis.


Ce site présente l'opportunité de faire lire quelques-uns de mes textes, et aussi de me forcer à travailler, grâce notamment aux chroniques et billets d'humeur dont j'espère l'enrichir, afin de sortir autant que faire je le pourrai de la rédaction confidentielle et personnelle de mon journal.

Posté le 13/11/2016 à 19:01

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